Espace de libertés – Octobre 2015

Édito

Ils sont lâchés. Décomplexés, ils inondent la toile de leurs commentaires nauséabonds. Ne cherchent même plus l’anonymat. Assument complètement. Qui? Les petits fachos du samedi, populistes du dimanche, kapos qui s’ignorent, racistes ordinaires, bonnes consciences d’un nationalisme outrancier, réactionnaires ancrés dans un droit du sol tout droit sorti du temps des Ostrogoths.

Leur cible? Les réfugiés. Cette « invasion » de « profiteurs » qui affluent chez nous après avoir « abandonné femmes et enfants », cachant en leur sein des « terroristes », des « voleurs », des « profiteurs de la sécu » refusant la nourriture qu’on leur donne « parce qu’elle n’est pas halal », possesseurs d’onéreux smartphones, snobant les lits de camp jetés à la hâte dans les bureaux désaffectés d’un WTC sans sanitaires par préférence pour « leurs tentes douillettes » voire, parole de ministre, dans l’attente « qu’on leur paie l’hôtel ». D’ailleurs, on devrait plutôt s’occuper « de nos propres SDF ». N’en jetez plus.

Au fond, il y a du positif dans cette déferlante de haine cynique: les masques tombent. Et l’on assiste à l’émergence d’un néologisme qui dit bien ce qu’il veut dire: la fachosphère. Inutile de chercher à sérier en sous-groupes: qui vole un œuf vole un bœuf.

Les manipulations les plus grossières, les intox les plus répugnantes, les mensonges les plus éhontés sont jetés en pâture, via les réseaux sociaux, à une foule d’égarés du bulbe qui trouvent sans doute, dans cette cible providentielle, l’occasion de déverser le trop-plein du vide de leurs existences mornes gâchées à attendre dans leurs pantoufles qu’un magicien jailli de la télé résolve les problèmes du monde et les fasse gagner au Lotto.

Quand Marine Le Pen, dopée par Viktor Orbán, évoque « les invasions barbares du IVe siècle » et une « dissémination jusque dans nos plus petits villages », on se dit qu’elle a bien raison. Elle parle sûrement de la fachosphère. Il est toujours fécond, le ventre d’où est sortie la bête immonde. C’est à nous, citoyens conscients, de dresser le barbelé du discours rationnel pour empêcher la peste brune de proliférer davantage. Remercions les migrants d’avoir contribué à nous ouvrir les yeux sur l’état de notre société. Et croisons les doigts pour n’avoir pas, un jour, à fuir notre belle Europe pour sauver notre peau; nous risquons de connaître le même sort que celui que nous avons réservé aux réfugiés syriens. Le supporterons-nous avec le même stoïcisme?