Tout comme Bachar Al-Assad, elle est d’origine syrienne et alaouite. Âgée de 44 ans, intellectuelle, journaliste, écrivain et scénariste (1), Samar Yazbek est forcée, en juillet 2011, de quitter son pays pour se réfugier en France.
Farouche opposante au régime d’Assad, Samar Yazbek a décidé de parler, d’écrire et de soutenir les manifestants syriens qui se battent pour la liberté. Depuis, elle sillonne le monde pour dénoncer les violations des droits de l’homme commises en Syrie qui déciment le peuple syrien. De passage à Bruxelles en mai dernier, dans le cadre du Festival Passa Porta, Samar Yazbek nous livre sa lecture du conflit syrien en tant que citoyenne révoltée par la passivité, voire la complicité, de la communauté internationale.
Selon l’ONU et le HCR (2), depuis mars 2011, le conflit syrien aurait fait plus de 210.000 morts, 4 millions de réfugiés et 7,6 millions de déplacés internes. La révolte pacifique au nom des libertés contre le régime de Bachar Al-Assad s’est transformée en une guerre dévastatrice. La journaliste déplore le manque de représentation et d’écoute, voire l’inexistence, de la voix de la société civile syrienne. Livrée à elle-même, elle n’existe que via le prisme des atrocités perpétrées par Bachar et autres « fous de Dieu ». La société civile syrienne « anéantie, complètement effondrée, forcée à la division, réduite à faire un bond en arrière de 200 ans, victime d’un génocide, oubliée de la communauté internationale est devenue le bouclier humain du régime d’Assad, de Daesh et de ces “combattants du djihad” venus de France, de Belgique ou encore de Tunisie ».
La société civile syrienne est devenue le bouclier humain du régime d’Assad, de Daesh et de ces ‘combattants du djihad’ venus de France, de Belgique ou encore de Tunisie.
Samar Yazbek refuse d’être le porte-voix de la « pensée occidentale » qui offre une lecture « biaisée et souvent simpliste ». Elle refuse aussi de réduire le conflit syrien à une « simple guerre civile, interreligieuse ou intercommunautaire ». Elle préfère parler de « génocide collectif » pour dénoncer les crimes atroces du régime d’Assad, qui a enfanté les djihadistes, et sa responsabilité dans la répression, l’instrumentalisation et la décrédibilisation des mouvements contestataires pacifiques. Les violations des droits de l’homme sont devenues le lot quotidien des Syriens sous le regard passif de la communauté internationale. D’une certaine manière, « Daesh et le régime d’Assad s’équivalent et désormais, se nourrissent et s’alimentent l’un l’autre, directement ou indirectement, par l’action ou l’inaction d’autres acteurs ».
Entre absence, opacité et laisser-faire: le rôle de la communauté internationale et le dessous des cartes
Samar Yazbek dénonce et condamne l’attitude des pays limitrophes et des grandes puissances. « Nous, les Syriens, notre problème est avec le monde entier, en premier lieu parce qu’on nous a laissés mourir sous les mains d’un criminel (Bachar Al-Assad). Deuxièmement, la non-fermeture des frontières a permis l’entrée en masse de tous les mercenaires, les djihadistes et tous éléments terroristes. Troisièmement, on a fourni des armes aux islamistes et djihadistes. Par contre, aux citoyens syriens, aux vrais patriotes qui ont pris les armes pour défendre leur vie et leur pays et que l’on appelait »militaires libres », on a limité les capacités d’action, notamment pour la fourniture d’armes, ce qui a causé leur mort et une confrontation brutale entre la société syrienne démunie et ces djihadistes terroristes ». La journaliste dénonce aussi le rôle et les agissements –souvent oubliés par la presse– d’Israël dont « l’agenda politique ne croise assurément pas l’urgente nécessité d’un règlement du conflit ». Elle pointe aussi du doigt les forces économiques qui agissent en faveur de leurs intérêts, peu importe l’impact de leur business sur la population syrienne.
La coexistence au sein de la société syrienne est possible.
Aux yeux de Samar Yazbek, il y a un laisser-aller de la part de la communauté internationale face au conflit syrien qui « voudrait le voir uniquement comme une guerre civile » et qui se cache derrière les atrocités des djihadistes pour se dédouaner, notamment de la responsabilité de nombreux états dans la naissance, le financement et le développement de ces machines à tuer. L’Union européenne, les Nations unies et les autres grandes puissances noient ainsi le poisson dans l’eau, affichent une connivence et une telle passivité, qu’elles se rendent complices de ce drame humain et « participent au crime de façon indirecte ». Alors que l’UE et ses partenaires disposent des outils diplomatiques et financiers pour exercer de réelles pressions. À titre d’exemple, on se souvient de l’engagement d’Obama, fortement médiatisé, face à la crainte de voir Assad recourir à l’arme chimique contre son propre peuple. Mais les Syriens se souviennent surtout que le franchissement de cette « ligne rouge » n’avait rien changé à leur sort tragique.
La communauté internationale se cache derrière las atrocités pour se dédouaner, notamment de la responsabilité de nombreux États dans la naissance, le financement et le développement de ces machines à tuer.
Dans un tel contexte, aux leaders européens, Samar Yazbek demande de faire preuve de courage politique, de cohérence à l’égard des principes fondateurs de l’UE et de responsabilité. « Ils doivent entamer un processus de réflexion transparent à l’échelle de l’Union et adopter un plan d’action, soutenu par les États-Unis et l’ONU en intégrant les représentants de la société civile syrienne et l’ensemble des autres pays concernés tels l’Iran, les pays du Golfe, la Russie, la Chine et Israël.« Mais ce sont les Syriens qui doivent-être au cœur de toute résolution du conflit, « c’est à eux et à eux seuls qu’il appartient de déterminer le futur de la Syrie ».
Ni Bachar, ni Daesh!
Pour Samar Yazbek, « Bachar doit quitter le pouvoir ». Ensuite, il faut lutter contre les djihadistes et autres « forces obscurantistes de l’intérieur et de l’extérieur qui sont prêts à mettre le pays à feu et à sang ». Elle rappelle que la société syrienne est ouverte, « on pratique un islam modéré qui existe encore malgré la situation car c’est une question d’identité pour les Syriens ». Les Syriens « ne sont pas des radicaux ou des fanatiques; les attaques terroristes sont l’œuvre d’éléments venus du Maroc, d’Afghanistan, de Tunisie et d’Europe ». D’ailleurs, l’avenir de la Syrie dépendra en grande partie de la capacité des musulmans à prôner et à pratiquer l’islam des Lumières. L’enjeu pour la Syrie post-Bachar est de reconstruire un tissu social détruit et de lutter ensemble « contre les djihadistes et l’islam radical ». Il s’agit d’apporter une réponse globale face à un fléau qui touche d’autres pays et qui en menace potentiellement d’autres.
Plus de cinq ans après le début de ce conflit sans aucun répit, Samar Yazbek garde espoir. Alors que « l’image est noire », que le conflit est loin d’être réglé, que les perspectives d’avenir sont floues, que la lutte contre Daesh est loin d’être gagnée et que Bachar s’accroche au pouvoir, les Syriens réfléchissent déjà à la reconstruction et à la réconciliation. Parce que même si la Syrie ne sera plus jamais la même, « la coexistence au sein de la société syrienne est possible », tout comme l’avènement d’une « société laïque », pour autant que toutes les composantes de la société civile décident ensemble de ce qu’elles veulent faire de la Syrie. L’écrivaine plaide pour « le rassemblement de toutes les forces démocratiques syriennes autour d’un projet inclusif et participatif de reconstruction du pays et encourage la création de vrais partenariats locaux et régionaux pour aller à contre sens des fractures sociétales et du traumatisme crées par le régime d’Assad et Daesh. Le peuple syrien a besoin de solidarité internationale et du soutien des médias occidentaux pour autant que l’information diffusée corresponde à la réalité. Pour autant aussi que les Syriens soient considérés comme société civile à part entière et que la communauté internationale sorte de son silence pour défendre prioritairement les droits des Syriens ».
(1) Elle est l’auteure de quatre romans dont Feux croisés. Journal de la révolution syrienne, récit des violences perpétrées par Bachar sur son peuple et Un parfum de cannelle, récompensés par des prix littéraires défendant la liberté d’expression et le courage (prix Harold Pinter Pen en Grande-Bretagne, Pen Oxfam Prize aux Pays-Bas et prix Tucholsky en Suède) et en tant que scénariste, elle a été primée par l’Unicef.
(2) Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.