Espace de libertés – Octobre 2015

Cours de citoyenneté: chronique d’une mobilisation parentale


Dossier
Si la saga médiatique lancée autour du « cours de rien » alimente depuis quelques mois conférences et riches débats, c’est bien parce que les enjeux sont réels et certainement pas « pour rien ».

Depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2015, la Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel (FAPEO) a dû monter au créneau pour défendre ses opinions, pour se défendre même tout simplement. Et tout cela pour promouvoir un vrai projet de société d’aujourd’hui, un projet qui tend à enfin mettre en phase l’organisation des cours dits « philosophiques » (religion et morale), figée depuis 1959, avec la société actuelle.

Depuis 1998, la FAPEO milite en faveur d’une réforme des cours dits « philosophiques ». Un constat: en Fédération Wallonie-Bruxelles, les écoles (et le système éducatif) continuent à séparer les jeunes élèves dès la première année primaire sur la base du choix convictionnel, obligeant les parents à afficher leur conviction philosophique à la rentrée scolaire. Ces pratiques, ancrées dans une autre époque –et même un autre monde– alors que la société a évolué, sont dépassées: le mélange des origines, des cultures, des pensées, des croyances, des cultes… est une réalité qui appelle le développement d’un vivre ensemble vrai, positif et créatif. Pourquoi donc séparer pendant douze ans, en des classes différentes, nos enfants et nos jeunes sur la base de choix de cultes? Si l’école doit bien enseigner le vivre ensemble, un même cours, rassembleur, suivi en commun devrait être son meilleur moyen.

Rassembler plutôt que séparer

L’idée d’un cours commun n’est donc pas neuve. Il est un magnifique outil pour assurer à tous une éducation philosophique, éthique et citoyenne. Car il s’agit bien de donner à toutes nos petites têtes les clés pour vivre dans ce monde d’aujourd’hui, en respect des différences de tous, des opinions diverses, en se forgeant sa propre personnalité de citoyen à part entière. L’apprentissage et la pratique de la démocratie et de la liberté d’expression trouvent là pleinement leur place.

Ce n’est donc pas un hasard non plus si le monde politique est sensible à une telle demande d’évolution. Tous les principaux partis francophones (sauf un) avaient inscrit dans leur dernier programme électoral respectif la création d’un cours de citoyenneté. La déclaration de politique communautaire rédigée en juillet 2014 par le nouveau gouvernement inscrira finalement la création d’un cours de citoyenneté d’une période hebdomadaire en lieu et place d’une période soustraite aux cours actuels de religion et morale. Et depuis lors, la FAPEO a pleinement assumé son rôle de relais entre le ministère de l’Enseignement et les parents.

À rebours

En effet, ce choix d’aller vers un cours commun, certes dans le sens attendu, n’est qu’une demi-mesure. Pourquoi ce choix alors que le même monde politique savait que la Cour constitutionnelle allait rendre une décision inéluctable? Déjà averti par des experts constitutionnalistes consultés quelques années plus tôt, il savait qu’un compte à rebours avait été lancé. Suite à l’action de parents refusant de faire le choix d’un cours de religion ou de morale pour leur fille, une décision de la plus haute instance juridique du pays était attendue… dont la teneur était déjà annoncée par les experts. Le nouveau gouvernement s’est mis en place. Et le 12 mars dernier, la Cour constitutionnelle confirmait ce qui était déjà dénoncé. Suivre ces cours de religion ou de morale ne peut être une obligation. Un mécanisme de dispense doit se mettre en place.

(R)éveil

Simultanément à cette procédure, les événements dramatiques de janvier et février qui secouent la France puis la Belgique sont des électrochocs. Tout le monde parle alors de la nécessité d’un cours de citoyenneté. Débats médiatisés entre politiciens, avec la FAPEO, avec le CAL, abondent pour l’organisation de ce nouveau cours auquel les parties prenantes attachent les contenus les plus divers. Ce qui était évident pour la FAPEO le devient pour tous, dans un même mouvement d’éveil… ou de réveil. Mais parlions-nous tous vraiment de la même chose? L’arrêt de la Cour arrivant juste après, la FAPEO pouvait espérer un sursaut fédérateur sur l’intérêt d’un véritable cours d’éducation philosophique, éthique et citoyenne à raison de deux périodes hebdomadaires. À l’heure d’écrire ces lignes, l’histoire nous rapporte qu’il n’en est rien.

La ministre de l’Éducation Joëlle Milquet promet une mesure décrétale afin de se mettre en conformité. Elle se joint au Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour assurer des mesures qui ne toucheront en aucun cas l’emploi. Puis d’un sondage lancé auprès des parents pour estimer le nombre de dispenses qui ne tient pas compte de l’arrêt de la Cour constitutionnelle à un avant-projet de décret recalé par le Conseil d’État, le chaos s’installe. Les critiques fusent.

Demande de dispense: un signal fort

Quand les parents se trouvent subitement obligés de répondre, fin avril, dans un délai de trois jours, au questionnaire de la ministre, les appels affluent à notre permanence. La FAPEO se doit de les informer et de réagir. Puisque le document envoyé, critiquable sur le fond et la forme, n’est accompagné d’aucune explication, la FAPEO rappelle que ce n’est qu’un sondage. Elle rappelle ses positions pour une réforme des cours philosophiques, les enjeux et l’évolution possible. Elle explique aux parents qui adhèrent à l’idée d’un cours commun de deux périodes par semaine d’éducation philosophique et citoyenne que demander la dispense consiste à envoyer un signal fort à la ministre.

Une haute instance catholique de défense du cours de religion, par la voix de Monseigneur Harpigny, demande les sanctions les plus sévères à l’encontre des personnes usant de moyens de pression dénoncés aussi comme anticonstitutionnels. La FAPEO qui n’a rien à se reprocher tient bon. Nous répondons à toutes les sollicitations médiatiques. La ministre se montre irritée. Nous nous invitons. Au cabinet, un projet pour encadrer les dispensés est en élaboration.

L’encadrement pédagogique alternatif, option bricolage

Un cours de citoyenneté, à raison d’une période hebdomadaire se mettra en place en septembre 2016, un encadrement pédagogique alternatif (EPA) apparaît à la rentrée 2015 pour les dispensés… ces cours s’additionneront, se chevaucheront… et seront donnés par qui? Un manque de communication et de consultation auprès de tous les acteurs concernés est flagrant.

Les pouvoirs organisateurs et les directeurs d’école chez qui subitement revient la responsabilité d’organiser l’EPA sont livrés à eux-mêmes, à leur bonne volonté, à celle de leurs professeurs, à leurs propres moyens. L’EPA d’ici ne sera pas l’EPA de là-bas… quand il y a EPA. Reviennent à la FAPEO les pressions sur les élèves et les parents pour ne pas choisir la dispense, donc pour ne pas choisir l’EPA jugé trop difficile par certains à mettre en place. Dans d’autres établissements toutefois, l’inconnu ne fait pas peur et on préfère se mobiliser, même avec des moyens limités, pour aller de l’avant. Ce bricolage a un terme, fin août 2016, mais pourrait être renouvelé par arrêté du gouvernement.

Un cours d’éducation philosophique et citoyenne, option officiel(le) obligatoire

Le Conseil d’État tacle encore: le dernier décret proposé en juillet par Joëlle Milquet pour un « cours d’éducation philosophique et citoyenne » doit être revu. Doté d’un intitulé qui est enfin plus aligné avec nos attentes, commun et obligatoire, ce cours voit son existence justifiée dans tous les réseaux. Le Secrétariat général de l’enseignement catholique (SEGEC) s’insurge et la ministre de l’Éducation suit. Un nouveau compromis politique instaure un cours à double vitesse. Son référentiel sera commun aux réseaux et donc construits avec tous. Dans les écoles catholiques, il sera inclus dans l’existant, avec une consistance difficile, avec une partialité certaine, sans changements profonds. Il n’existera véritablement que dans l’enseignement officiel.

Pour rappel, la FAPEO et le CAL sont membres du CEDEP, le Centre d’étude et de défense de l’école publique. Ils ont contribué avec une dizaine d’autres fédérations et associations qui défendent un projet d’enseignement officiel à, notamment, élaborer des propositions pour le contenu du tant attendu cours d’éducation philosophique, éthique et citoyenne (EPEC). Celles concernant le fondamental et le premier degré du secondaire ont déjà été remises à la ministre. Les autres suivent. Les contributions et la vigilance de la FAPEO, dans l’intérêt de l’école pour tous, continuent.