Un entretien avec Fabrice Aerts-Banken
Fabrice Aerts-Banken est directeur général adjoint en charge de l’enseignement secondaire à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il est un fervent défenseur des Centres d’éducation et de formation en alternance (CEFA) qui ont fêté leurs 30 années d’existence en 2014-2015.
Espace de Libertés: Les CEFA fêtent leurs 30 ans d’existence. Estimez-vous que le système fonctionne bien dans l’enseignement?
Fabrice Aerts-Banken: Je ne peux vous répondre que pour ce qui est organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, à savoir l’alternance dans l’enseignement. Cela regroupe pas moins de 9.000 élèves et cela répond à un besoin de certains élèves qui demandent une structuration du temps scolaire différente de celle de l’enseignement de plein exercice. Beaucoup trouvent du travail, ce qui est un succès vu le contexte socio-économique. On évalue le taux d’insertion en agronomie à 89 %, par exemple, et on tourne en moyenne autour des 70-80% pour l’ensemble des disciplines.
N’est-ce pas un échec de l’école de devoir faire appel à l’entreprise?
C’est une question qui m’énerve. Je considère que si on veut qu’un enseignement qualifiant soit performant, il doit répondre aux besoins des entreprises. Quels meilleurs moyens de bien former les élèves que de se mettre en lien avec les entreprises pour être en phase avec leurs demandes, même s’il ne s’agit évidemment pas de répondre à des besoins ponctuels? Mais c’est aussi pour répondre aux besoins de l’élève et de son rythme de travail. Je pense à la trajectoire d’un jeune qui ne trouvait pas sa place dans l’enseignement de plein exercice. Il est allé dans l’enseignement en alternance. Il a ensuite travaillé comme commis, puis cuisinier. Il avait besoin d’un autre rythme scolaire. Il est aujourd’hui chef étoilé.
Le monde de l’enseignement, lui, est bien conscient de la nécessité d’être en prise directe avec le monde socioprofessionnel, au risque d’être en décalage avec celui-ci.
Faut-il renforcer les liens entre l’école et l’entreprise?
Oui. J’en suis partisan.
Ils n’existent pas suffisamment?
Il y en a plus qu’avant. Le gouvernement vient de mettre en place un décret « Stage » qui va permettre aux élèves de s’impliquer plus dans l’entreprise. Il faut aussi trouver des entreprises qui peuvent accueillir les élèves dans de bonnes conditions pour que cette présence soit formative et formatrice. On augmente les liens avec les entreprises aussi via les conventions sectorielles pour les intensifier, mais c’est un travail de longue haleine.
Y a-t-il des freins du côté de l’enseignement? De l’entreprise?
Le monde de l’entreprise a compris qu’il avait besoin d’élèves bien formés et que sa performance était à ce prix. Il ne peut pas toujours se plaindre que l’offre ne correspond pas à la demande sans lui-même s’impliquer. Le monde de l’enseignement, lui, est bien conscient de la nécessité d’être en prise directe avec le monde socioprofessionnel, au risque d’être en décalage avec celui-ci. Le monde de l’école à l’école et celui de l’entreprise en entreprise, c’est fini.
N’y a-t-il pas un risque de formation sur mesure, d’élèves formatés à un instant particulier et d’une école qui serait au service de l’entreprise?
Non, parce que les conventions sectorielles mettent en place des partenariats bien balisés. Il ne s’agit pas de fournir de la main-d’œuvre bon marché. Il y a un plan de formation établi. On n’est pas dans l’immédiateté d’une réponse aux besoins ponctuels d’une entreprise. C’est un projet plus général, une vraie collaboration.
L’alternance, contrairement à l’image qu’on en a, ne concerne pas que des métiers manuels.
Exactement. Le qualifiant, en alternance ou en plein exercice, souffre d’une mauvaise image. L’image de métiers salissants et dégradants. Le garagiste couvert de cambouis des pieds à la tête ne correspond plus à la réalité. Si vous visitez un centre de technologie avancé qui fabrique des châssis de fenêtre, il ne faut pas croire que le menuisier scie du bois et colle des morceaux châssis. C’est une machine. Il faut aujourd’hui des compétences en programmation. Ce sont des métiers qui ont tellement changé qu’une de nos missions, dans l’administration, est de sensibiliser les gens à cette évolution et aux perspectives d’emplois qu’ils offrent. L’orientation vers le qualifiant n’est pas encore une orientation positive. On devrait aller vers le qualifiant non pour se débarrasser d’un élève, mais parce que c’est un enseignement qui lui convient. L’avantage de l’enseignement en alternance, c’est qu’on doit s’engager dans sa formation. On est plus acteur de sa formation quand on va en entreprise que quand on est assis, passivement, en classe. Ce sera d’ailleurs à mon avis une voie à suivre d’intensifier les stages dans l’enseignement de plein exercice également.