En avril dernier, nous faisions le point sur l’évolution du dossier ÉVRAS (1), tant sur le plan institutionnel que sur le terrain. Cette nouvelle année académique sera-t-elle celle de la généralisation effective de l’éducation sexuelle et affective? Rien n’est moins sûr. Car 40 ans après les premières propositions de loi visant à rendre obligatoires ces indispensables séances d’information et d’échanges, les choses avancent, lentement, très lentement.
En 2003, l’inégalité structurelle des élèves devant l’information sur la sexualité a été objectivée par une étude interuniversitaire (2). Une décennie plus tard, nous en sommes toujours à pratiquer la politique des petits pas, quand ce ne sont pas des pas de côté.
La marche du crabe
Pourtant, en 2012, l’ÉVRAS a été insérée dans le décret sur les missions de l’enseignement, et depuis 2013, le budget consacré par la COCOF aux animations ÉVRAS des centres de planning a été doublé pour atteindre les 300.000 euros. En juin de la même année, un protocole d’accord a été adopté par les trois gouvernements (FWB, COCOF et Région wallonne) attribuant à dix centres locaux de promotion de la santé le rôle de centralisateur des ressources ainsi que de sensibilisation et d’encouragement de la mise en œuvre de l’ÉVRAS dans les écoles. Entre l’encouragement et l’obligation, le chemin est aussi long qu’entre les acteurs institutionnels et l’arrivée concrète de l’information auprès des jeunes…
Les mesures incitatives sont insuffisantes pour garantir à tous les jeunes l’accès à une information rigoureuse et complète sur la vie affective et sexuelle.
Si ce nouvel échelon –sorte d’interface entre les différents intervenants– peut bien sûr avoir son utilité, notamment dans le cadre de rencontres avec le personnel enseignant ou de direction en recherche de soutien pour élaborer leur projet, il n’est manifestement pas de nature à desserrer les freins structurels et idéologiques persistants qui, aujourd’hui encore, empêchent que tous les élèves puissent enfin bénéficier d’ÉVRAS de manière égalitaire.
De nombreuses recommandations
La Ligue de l’Enseignement est, à cet égard, on ne peut plus claire: les mesures incitatives sont insuffisantes pour garantir à tous les jeunes l’accès à une information rigoureuse et complète sur la vie affective et sexuelle: « L’ÉVRAS doit être généralisée et inscrite dans les programmes. C’est bien la moindre des choses, quand violences sexuelles, pornographie en ligne, pédophilie, homophobie, grossesses non désirées et sida défraient régulièrement les médias et, trop souvent, le quotidien des jeunes eux-mêmes. » (3) Les recommandations de l’OMS vont dans le même sens, s’inspirant d’une interprétation positive de la sexualité, considérée comme partie intégrante de la santé physique et mentale. Des thématiques telles que le VIH/sida, les grossesses non désirées et la violence sexuelle doivent être inscrites dans des programmes pédagogiques globaux qui se concentrent sur l’autodétermination des individus et leur responsabilité envers eux-mêmes et autrui (4).
Un tabou persistant
L’étude interuniversitaire précitée soulignait déjà la force des a priori et des tabous prégnants en Belgique: « L’éducation à la vie affective et sexuelle est encore un sujet tabou dans notre pays à forte tradition catholique. L’idée prévaut encore, dans de nombreux milieux, qu’il n’est pas bon de parler de la sexualité aux enfants, voire aux adolescents. Des décennies de lutte contre le sida ont renforcé l’idée que la sexualité peut être dangereuse et que plus longtemps on en préservera les enfants, mieux ce sera. La sexualité fait désordre. La sexualité des enfants et des adolescents est d’ailleurs souvent niée par les adultes. À quoi bon, dès lors, leur parler de sujets qui ne les préoccupent pas? Ne risque-t-on pas, ce faisant, de les inciter à anticiper leur entrée dans la vie sexuelle? »
Ces craintes et le refus de prendre en compte les besoins et les droits des enfants et des adolescents rejoignent les discours valorisant la famille nucléaire comme l’assignation des femmes à la maternité. Ils vont également de pair, pour certains, avec les mises en cause de la planification familiale ou encore les directives d’abstinence sexuelle prônées par l’Église catholique et les évangélistes.
Liberté d’enseignement…
Tous ces indicateurs montrent la difficulté récurrente de parler librement de sexualité aux enfants et aux jeunes. Si les législations en vigueur, tant au niveau fédéral que communautaire, reconnaissent officiellement les besoins en matière d’ÉVRAS, elles se heurtent, selon les organes de défense de l’enseignement catholique, à deux principes fondamentaux: la liberté de l’enseignement et la liberté parentale. Cette interprétation a le mérite de mettre à jour une forme de méfiance à l’égard des pouvoirs publics. En Belgique, l’influence du pouvoir organisateur sur l’esprit et le contenu de l’enseignement peut donc faire échec aux engagements pris aux niveaux communautaire et fédéral, et se positionner contre les recommandations des organismes internationaux. Ce que confirme, par exemple, le décret voté en son temps par le Conseil de la Communauté française (5) qui prévoit une information sur la contraception et la parenté responsable dans les établissements scolaires de la Communauté française. Les écoles du réseau libre confessionnel, elles, ne sont pas concernées. Que ce prescrit soit limité aux écoles du réseau officiel devrait pouvoir faire l’objet d’un débat.
Il faudrait trouver d’urgance une solution adaptée et originale qui tienne compte de tous les acteurs: animateurs extérieurs, PMS/PSE, professeurs, pouvoirs organisateurs, parents et élèves.
Il conviendrait donc de réinterroger la manière dont la société belge fait usage de la liberté d’enseignement. Celle-ci, consacrée par l’article 24 de la Constitution, n’est cependant pas illimitée comme le souligne la Cour constitutionnelle: « La liberté d’enseignement n’empêche pas que le législateur compétent, en vue d’assurer la qualité et l’équivalence de l’enseignement dispensé au moyen des deniers publics, prenne des mesures qui soient applicables de manière générale aux établissements d’enseignement, indépendamment de la spécificité de l’enseignement dispensé par ceux-ci. » (6)
Quant au pacte scolaire, qui fixe les règles de financement public des établissements scolaires, il prévoit un « programme minimal légalement fixé ». L’État devrait pouvoir y inscrire l’ÉVRAS, eu égard aux recommandations internationales, fédérales et communautaires rappelées ci-dessus, sans oublier les recommandations de l’IPPF et de ses associations membres (7).
… et liberté parentale
Un autre argument avancé pour s’opposer à l’obligation de parler de sexualité à l’école se réfère à la liberté parentale. Ici encore, l’interprétation de la Constitution est singulièrement restrictive, car en imposant une obligation scolaire, l’État limite de fait l’exercice de cette liberté parentale. Ce sont en effet les enfants qui sont soumis à l’obligation scolaire, que les parents le veuillent ou non. L’autorité et la liberté parentales ne sont donc pas illimitées. De plus, comme l’a précisé il y a des décennies de cela la Cour européenne des droits de l’homme, l’inscription obligatoire de l’ÉVRAS durant le cursus scolaire n’est pas contraire à la liberté parentale.
Pour rencontrer finalement la volonté commune de dispenser à tous les élèves de la FWB une information sur la vie affective et sexuelle, il faudrait trouver d’urgence une solution adaptée et originale qui tienne compte de tous les acteurs: animateurs extérieurs, PMS/PSE, professeurs, pouvoirs organisateurs, parents et élèves. En effet, pour que l’inscription obligatoire soit vécue comme une avancée et non comme une contrainte, il est impératif de pouvoir compter sur le concours motivé des équipes. Avec un peu de volontarisme politique, l’ÉVRAS obligatoire pourrait être encadrée par les deux ministères de tutelle, celui de l’Enseignement obligatoire et celui de la Santé et de… l’Égalité des chances.
(1) Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle.
(2) Michel Andrien (ULG), Katty Renard (PROMES-ULB) et Hélène Vanorlé (FUNDP), Animations à la vie affective et sexuelle à l’école. Propositions d’objectifs, de thématiques et de stratégies, rapport de l’équipe interuniversitaire, décembre 2003.
(3) Communiqué de presse de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation Permanente du 9 novembre 2011.
(4) Recommandations du 20 octobre 2010 du Bureau régional de l’OMS pour l’Europe.
(5) Article 4 du Décret du 10 juillet 1984.
(6) Arrêt 119/2008.
(7) Cadre de l’International Planned Parenthood Federation (IPPF) pour une éducation sexuelle intégrée. Voir aussi http://www.ippf.org/resources/publications/evidence-action-advocating-comprehensive-sexuality-education.