Espace de libertés – Novembre 2017

Centres fermés: l’inadmissible retour en arrière


Dossier

L’État belge s’apprête à renvoyer des familles avec enfants en centre fermé, faute de titre de séjour. Le nouveau projet de centre de Steenokkerzeel semble marquer le retour à des pratiques décriées par les défenseurs des droits humains.


En dehors de quelques professionnels et cercles militants, rares sont ceux qui savent que des fonctionnaires de l’Office des étrangers (OE) sont autorisés, en vertu de la loi, à détenir des enfants en centre fermé pour un motif administratif lié au séjour de leur(s) parent(s). Plus rares encore sont ceux qui sont conscients que d’ici peu, les autorités belges s’apprêtent à renvoyer des familles avec enfants en centre fermé.

Dans sa note de politique générale du 27 octobre 2016, le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken réaffirme (1) en effet son intention de recourir à la détention administrative de familles avec enfants mineurs, dans des « unités familiales » adaptées à leurs besoins. Les travaux de construction ont d’ailleurs déjà commencé. Ces logements sont implantés à proximité du centre de rapatriement 127bis, situé à Steenokkerzeel, à côté de l’aéroport. Cette volonté du gouvernement signe un dramatique retour en arrière et un indéniable recul dans la défense et le respect des droits de l’homme et surtout des plus vulnérables: les enfants.

Des enfants détenus en Belgique

Durant une vingtaine d’années (de 1988 à 2009), plusieurs milliers d’enfants ont été placés en centre fermé et soumis à un régime de détention stricte. Que ce soit dans l’ancien centre fermé 127, dans le centre de rapatriement 127bis, ou encore, au sein des centres fermés de Merksplas et de Vottem. Les enfants détenus se retrouvaient en détention parce que leurs parents faisaient l’objet d’une décision d’enfermement en raison de l’illégalité de leur séjour.

Fin 2008, grâce au plaidoyer mené par la société civile et par les collectifs citoyens et suite aux condamnations de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), les autorités belges ont pris la décision de ne plus placer les familles avec enfants mineurs en centre fermé. Même lorsque celles-ci avaient reçu un ou plusieurs ordres de quitter le territoire. Un an plus tard, le gouvernement élargissait cette pratique aux familles qui s’étaient vues signifier une décision de refus d’accès au territoire à leur arrivée sur le sol belge. Depuis lors, quasi plus aucun enfant n’était écroué en centre fermé. Si l’OE décide d’expulser une famille en séjour irrégulier sur le territoire, il la place en principe dans une « maison de retour » pendant le temps nécessaire à l’organisation de son expulsion.

Centre fermé vs maison ouverte

Ces unités unifamiliales, gérées par l’OE, ont été créées en 2008. Si les conditions d’arrestation sont les mêmes que pour les étrangers détenus en centre fermé, le régime et les conditions de contrôle sont différents. Les familles confinées gardent une certaine liberté de mouvement, les logements sont ouverts et non surveillés (2). Les droits des enfants sont ainsi mieux respectés (3). Les « maisons de retour » sont d’ailleurs régulièrement présentées, en Belgique et à l’étranger, comme une « alternative » positive à la détention (4).

Parallèlement aux « maisons de retour », il existe également la possibilité pour les familles de résider à leur domicile en attendant d’être expulsées. La loi belge prévoit précisément que la famille avec enfants mineurs qui a pénétré dans le Royaume sans y être autorisée ou qui peut être refoulée ou dont le séjour est irrégulier, n’est en principe pas placée dans un centre fermé, « à moins que celui-ci ne soit adapté aux besoins des familles avec enfants mineurs ».

Quid du droit supérieur de l’enfant?

Si la loi autorise cette pratique, on peut néanmoins se demander si un centre fermé peut être adapté aux besoins d’un enfant. Cette notion n’est pas claire dans la loi et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) fixe un niveau d’exigence très élevé. La détention administrative pose en effet de nombreuses questions quant à sa compatibilité avec le respect de certains droits fondamentaux tels que le droit à la liberté, au recours effectif, à la vie familiale, à la vie privée, ainsi que le droit à ne jamais être soumis à un traitement inhumain et dégradant. La CEDH a condamné la Belgique à trois reprises dans des affaires liées au placement d’enfants en centre fermé. Dans ces arrêts, rendus entre 2006 et 2011, la Cour estime que la détention d’un enfant constitue une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit une interdiction absolue de soumettre un être humain à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants.

Si un adulte en détention peine bien souvent à jouir de ses droits, comment un enfant détenu sera-t-il capable de défendre ses intérêts et ses droits? Quid de son droit à la santé, à l’éducation et à la préservation de son environnement familial et au maintien de ses relations sociales? Quid de son droit à s’épanouir et à être, tout simplement, un enfant? Nos sociétés sont-elles aveugles au point de penser que l’intérêt supérieur d’un enfant est respecté quand il se retrouve enfermé dans un centre de détention? Même si ce n’est que pour une courte durée, il risque fort de sortir traumatisé de cette expérience.

Et en Europe? Des positions mitigées

© CostL’Union européenne émet différentes positions à ce sujet. La directive « retour » de 2008 stipule par exemple que « les mineurs non accompagnés et les familles comportant des enfants mineurs peuvent être placés en détention pour autant que cela soit en dernier ressort et pour la période la plus brève possible ». La détention est alors possible, si elle est prévue par la loi et qu’elle répond à un besoin social impérieux tout en étant proportionnée au but légitime poursuivi.

Une récente recommandation de la Commission européenne affirme encore que « les États membres ne devraient pas exclure de leur législation nationale la possibilité de placer des mineurs en rétention ». Une Europe qui semble pousser ses États membres à utiliser la détention a n de donner un message fort et décourager les autres migrants.

Par contre, l’autre Europe, celle du Conseil de l’Europe, qui avait admis trois ans auparavant que des enfants pouvaient être placés en détention (5), semble aujourd’hui encourager les États à trouver des solutions alternatives à la détention qui soient plus respectueuses et adaptées à la vulnérabilité des enfants. Comment sortir de ces tendances contradictoires?

Comme le suggèrent les institutions de défense des droits de l’homme, il est primordial d’inscrire dans la loi l’interdiction absolue de détenir des enfants. Ils ne peuvent être assimilés à des adultes. Ils ne sont pas des criminels et ne doivent pas se retrouver dans une situation de souffrance à cause de leur statut migratoire. Peu importe qu’ils disposent ou non d’un titre de séjour.

 


Cet article est un résumé de l’analyse « Détention de familles avec enfants en centre fermé: l’inadmissible retour en arrière » publié par le CIRÉ en août 2017 et disponible sur www.cire.be

(1) Ce projet avait déjà été évoqué dans l’accord de gouvernement du 9 octobre 2014, ainsi que dans la note de politique générale sur les questions d’asile et de migration du 28 novembre 2014.

(2) Néanmoins, lorsqu’une famille est composée des deux parents, l’un d’entre eux doit toujours être présent dans la maison. Ce régime de confinement se caractérise aussi par la mise en place d’un étroit suivi de la famille par un agent dit « de soutien » désigné par l’OE.

(3) Pour en savoir plus: CIRÉ et Vluchtelingenwerk Vlaanderen, « La politique d’éloignement des étrangers en Belgique », mars 2015, mis en ligne sur www.cire.be.

(4) Cependant, ce dispositif ne garantit pas le respect de la dignité des familles tant l’accompagnement qu’elles reçoivent peut s’avérer insuffisant (à cause de l’inexistence de personnel spécialisé ou d’une carence de personnel effectif) au regard de la vulnérabilité que présentent la plupart des personnes qui y sont placées (stress, dépression, accès limité à l’éducation, etc.).

(5) Conseil de l’Europe, « Vingt principes directeurs sur le retour forcé », septembre 2005, mis en ligne sur www.coe.int.