Pierre-Stéphane Lebluy est enseignant à Gosselies. Pour la première fois de sa carrière, il donne cours de philosophie et citoyenneté. « Espace de libertés » le suit tout au long de l’année pour comprendre les enjeux – théoriques et pratiques – de ce cours; percevoir, au plus proche du terrain, les doutes et les espoirs qu’il suscite. Épisode 2: la rentrée des classes.
Pierre-Stéphane Lebluy s’est jeté dans le grand bain. Depuis septembre, il enseigne aux élèves de l’Athénée Les Marlaires à Gosselie la philosophie et la citoyenneté. L’un des objectifs du professeur hennuyer, lorsqu’il a choisi de troquer la morale contre le CPC, était bien de toucher tous les élèves d’une même classe d’âge, quelles que soient leurs convictions morales ou religieuses.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ancien prof de morale est satisfait de ses premiers moments au contact des élèves: « Je suis au-delà de ce que j’imaginais. Ce mélange des élèves permet d’avoir d’autres regards, de voir l’étonnement dans les yeux, un étonnement que je ne voyais plus en cours de morale. »
Alors certes, la formation pour obtenir la certification officielle d’enseignant dans cette nouvelle matière n’a pas encore commencé. « Mais ma pratique professionnelle me permet d’entrevoir le cours que je donne tout en respectant le programme », dit-il, confiant. Ce programme, justement, Pierre-Stéphane Lebluy ne l’aborde qu’à petits pas. Il aurait apprécié que, pour cette première année, « l’on prévoie une sorte de période tampon pour davantage expliquer ce qu’est ce cours, qu’est-ce qu’une question philosophique. Il y a pas mal d’élèves qui ne comprennent pas vraiment ce qu’ils font là. Certains ont fait mine de croire qu’ils venaient en “cours de rien”. J’ai dû leur montrer le programme. » Un programme costaud qui implique d’y consacrer beaucoup de temps. « Je me lève à 5 ou 6 heures du matin tous les jours pour préparer et assurer les cours, je suis vidé lorsque je rentre chez moi », admet Pierre-Stéphane Lebluy, l’air un peu hagard, dans le vieux pub désert dans lequel nous nous rencontrons.
Des questions existentielles
Chaque semaine, Pierre-Stéphane Lebluy preste ses 22 heures de cours. Une partie est prodiguée à tous les élèves d’une même classe, une seconde à ceux qui ont opté pour le CPC. « C’est dans cette deuxième heure, en petits groupes, que l’on commence à aller un peu plus loin, témoigne-t-il, à faire de petits ateliers philosophiques autour de questions existentielles. »
Il faut dire que les classes de deuxième heure ne sont pas bien fournies aux Marlaires. « Beaucoup d’élèves ont préféré suivre le cours de morale, enchaîne le professeur. J’ai donc généralement quatre ou cinq élèves en CPC. »
Ses premiers cours ont été l’occasion de tester les réactions des élèves face à de grandes citations de la philosophie (type « Je pense comme je suis ») ou face à des textes stimulants. « Je leur ai fait lire un discours de Martin Luther King et de De l’esclavage des nègres de Montesquieu qui, contrairement à ce que laisse penser le titre, est un plaidoyer contre l’esclavage. J’ai des élèves d’origine africaine qui ont bondi en voyant le titre. Mais en décryptant le texte, ils réalisent qu’ils auraient pu passer à côté du sens. »
Dans certaines classes, la dynamique que Pierre-Stéphane Lebluy constate est prometteuse. « J’ai deux élèves en première qui ont suivi une scolarité par correspondance au Maroc. Je n’ai jamais vu de gamins avec un tel vocabulaire, une telle sémantique, un tel argumentaire, le tout sans être arrogants. Ils sont un véritable moteur pour les autres élèves. »
Bientôt, les sujets qui fâchent
Le professeur de CPC va attendre un peu pour aborder les sujets qui fâchent. L’avortement, l’euthanasie ou l’homosexualité. Mais il ne compte pas s’esquiver, tout en ayant conscience de marcher sur des œufs. « Cela va créer des tensions avec des élèves et des parents. » Il sait qu’à côté, certains professeurs confessionnels sont prêts à batailler. « Dans certains cours de religion, il se dit des choses odieuses, par exemple sur l’homosexualité. »
Pierre-Stéphane Lebluy ne souhaite cependant pas attaquer de front les élèves. C’est un point important pour lui. « Mon idée n’est pas de les changer ni d’en faire de bons petits soldats laïques. Je respecte le principe de neutralité et je sais que ces sujets peuvent facilement déraper. Je respecte leurs convictions. L’idée, sur ces sujets, est d’interroger les positions de chacun, de provoquer des remises en question. »