Espace de libertés – Novembre 2017

Dossier

En septembre, la cour d’appel de Bruxelles a accordé la suspension du prononcé de la condamnation (six mois de prison avec sursis et 18 000 euros d’amende) infligée à l’ex-député fédéral Laurent Louis en contrepartie d’une visite annuelle des camps d’extermination nazis pendant cinq ans. Une peine alternative, censée susciter la réflexion. La criminologue Marie-Sophie Devresse (UCL) explique les finalités et les logiques inhérentes à ces alternatives à l’enfermement.


Espace de Libertés: Laurent Louis sommé de se rendre à Auschwitz. Qu’est-ce que cela vous inspire?

Marie-Sophie Devresse: Je suis perplexe. J’y vois une vision romantique de la justice, même s’il n’est pas impossible que ce voyage provoque un choc salutaire. Nul ne le sait. Quelles seront les conséquences d’une telle décision si, au contraire, le magistrat s’est trompé? Il n’existe pas de solution simple à de telles questions.

Pourquoi des peines alternatives?

Depuis les années 1960, l’idée s’est imposée qu’un détenu peut exécuter sa condamnation autrement qu’en allant jusqu’à la fin de peine. Sont apparus une série d’aménagements (dont la liberté conditionnelle, la libération provisoire et la semi-liberté), le tout étant assorti d’une série de contrôles. Il s’agissait alors de proposer, dans la plupart des cas, un sas entre la prison et la liberté afin que le détenu ait l’occasion de préparer sa réinsertion dans la société.

Pour l’administration pénitentiaire, l’enjeu est devenu institutionnel.

Puis les choses ont évolué…

Oui, car les conditions de libération et les contrôles que celle-ci impliquait devenaient de plus en plus lourds, au point que certains détenus préféraient rester en prison plutôt que de les subir. Il faut préciser qu’à l’idée initiale de resocialisation s’est ajoutée avec le temps une contrainte: le nombre toujours plus important de condamnés dans les prisons. Pour l’administration pénitentiaire, l’enjeu est alors devenu institutionnel, systémique. Il fallait absolument désengorger les cellules, faute de place et d’argent. D’une perspective de resocialisation, on est passé à une approche plus gestionnaire. Des mesures nouvelles sont dès lors apparues comme le bracelet électronique qui, dans un premier temps, n’était pas une peine, mais un aménagement. Il n’est devenu une peine autonome qu’en 2014. Ces mesures ne permettent toutefois plus de réduire la population carcérale. D’où une nouvelle vague de réformes visant à créer de nouvelles peines pour ne plus condamner à la prison, mais à des peines de travail, à la sur- veillance électronique ou à la peine de probation.

En la matière, on avance un peu à l’aveugle, non?

Le législateur ne va pas dire qu’il crée exclusivement ces mesures pour vider les prisons. Et les logiques précitées conservent tout de même l’ambition d’aboutir à des projets pénologiques, sachant que les défauts de l’emprisonnement sont amplement connus. Les prisons ont toujours été critiquées pour être des lieux criminogènes. Le débat sur la radicalisation en prison ravive d’ailleurs la critique de la réponse carcérale.

Peut-on se satisfaire de cette approche de l’emprisonnement et de ses alternatives?

Il faut d’abord poser la question du projet pénologique. Savoir ensuite comment gérer le coût exorbitant des prisons. Et enfin – ce qui est neuf – tenir compte de la demande de répression qui vient de la population (le « populisme pénal », disent les Anglo-Saxons). On a vu qu’après l’émoi provoqué par la sortie de Michèle Martin, le législateur a directement pris des mesures pour restreindre les possibilités de libération conditionnelle de certains types de détenus. Ces paramètres conduisent à des alternatives dont la lisibilité est parfois difficile. On sait par exemple que la libération conditionnelle est ce qui se fait de plus efficace en matière de resocialisation. Et pourtant, son octroi a été systématiquement raboté au fil des ans.

N’est-ce pas compréhensible dans un monde que l’on nous dit de plus en plus dangereux?

La libération conditionnelle est assortie d’une série de garanties très strictes: le détenu ne peut sortir que s’il a un vrai projet de vie à l’extérieur et que si celui-ci est viable. Des assistants de justice sont là pour accompagner la mesure et contrôler son exécution. C’est bien plus cohérent et efficace que de déposer un ex-prisonnier sur un trottoir à la fin de sa peine et de le laisser à son propre sort.

Quelle est la plus-value du bracelet électronique dans un tel contexte?

C’est une vraie question, sachant que le bracelet électronique n’offre pas un surcroît de sécurité puisqu’il peut être arraché. J’ajoute qu’il est difficile de procéder à des démarches de réinsertion avec un tel appareil au poignet. C’est une mesure très compliquée et très chère à mettre en œuvre.

Parlons des victimes. La mise en application d’une peine alternative ne les prive-t-elle pas de l’apaisement qu’elles sont en droit d’attendre après avoir souffert?

Beaucoup de choses ont été prévues pour elles depuis l’affaire Dutroux, dans le droit, la loi et la procédure pénale. Il existe dorénavant une pluralité de services aux victimes. Par ailleurs, en cas de libération, une victime peut par exemple obtenir du juge que son agresseur ne puisse s’établir dans un périmètre proche de son domicile.

Une victime est-elle forcément l’ennemie des peines alternatives?

Le désir des victimes peut évoluer. La volonté de voir un agresseur puni peut s’estomper, même si cela prendra un certain temps. La question de la peine n’est plus alors l’enjeu principal. On a vu des cas où la victime désirait parler à son agresseur une fois sorti de prison parce qu’elle pensait que cela pouvait l’aider à faire son deuil. D’autres ne veulent plus entendre parler de ce qui leur est arrivé des années auparavant. Si, malgré tout, la victime veut que le condamné reste en prison, il lui est toujours possible de s’adresser au Tribunal d’application des peines qui statuera. Cela n’existait pas avant l’affaire Dutroux.

À côté des peines alternatives, il existe, dans certains cas, des possibilités de transaction nancière pour « effacer l’ardoise ». Qu’en penser?

Ici, il ne s’agit pas de sanction, mais plutôt de faire l’économie d’une procédure de justice moyennant paiement. Cela pose bien sûr la question du rapport de la justice à l’argent et de l’existence potentielle d’une justice de classe. Il est paradoxal de voir des dealers de drogue accablés de dettes judiciaires et retourner à leurs tra cs pour les acquitter.