Le théâtre de l’opprimé et le théâtre-action donnent la parole aux minorités et aux « sans-voix ». Délibérément populaires, ces outils artistiques sont toujours utilisés comme vecteurs d’émancipation par certains acteurs culturels.
Initiée dans les années 1970 par Augusto Boal, metteur en scène brésilien, la méthode du « théâtre de l’opprimé » propose aux personnes privées d’espace d’expression un outil permettant de faire valoir leurs opinions. Comme le précise son concepteur, « la poétique de l’opprimé est celle de la libération. Le spectateur ne délègue aucun pouvoir pour que l’on agisse ou pense à sa place. Il se libère, agit et pense par lui-même » (1). Au-delà de son esprit de « dénonciation », cette discipline invite le public à réparer les injustices qu’il estime subir, le temps d’une scène, en suscitant la réflexion sur les problèmes sociaux et les inégalités. La forme interactive étant privilégiée afin de rassembler « ceux qui agissent » et « ceux qui regardent ». C’est aussi un moyen de rendre le théâtre accessible et populaire. Avec une force d’action qui a fait ses preuves en Amérique du Sud, puis en France dans les années 1980, le théâtre de l’opprimé a conquis la société civile et le tissu associatif européen, actif dans l’éducation à la citoyenneté. Autre outil, fort proche du premier dans son positionnement socio-culturel de gauche, le « théâtre-action » propose de sortir de l’écueil du « non- public », c’est-à-dire du manque de parole donnée à une partie de la société. Cette pratique artistique « reconnaît à chacun un rôle critique et créateur et s’attache à ce que soit prioritaire la parole des gens écartés par le système dominant » (2). En Belgique francophone, ce mouvement théâtral a émergé dans la foulée de Mai 68, nourri par l’idéal de « démocratie culturelle », soucieux d’inclure et induire l’émancipation des personnes socialement ou culturellement défavorisées. Ces deux pratiques artistiques s’inscrivent indéniablement dans une époque et un tissu culturel spécifique. N’est-ce pas dépassé?
Le théâtre de l’opprimé et le théâtre-action sont d’incontestables outils politiques.
De l’action dramatique à la vie
Si ces anciennes techniques font débat au sein même du tissu associatif culturel, certains acteurs continuent de s’inspirer de ces techniques à l’ADN soixante-huitardes, afin de susciter la réflexion et le débat. C’est surtout leur approche interactive qui est jugée intéressante. L’ONG Service civil international (SCI), qui promeut une société pacifique et interculturelle par la mise en place de projets de volontariats, en Belgique et dans le monde, a inclus le théâtre de l’opprimé dans son programme d’éducation citoyenne. « Notre projet regroupait des Belges, des demandeurs d’asile et des volontaires internationaux autour de la thématique de l’accès au logement. Ils ont eu l’occasion de jouer dans divers lieux culturels, d’approcher le public et d’obtenir ses réactions, face à la question de l’accès au logement », explique Sabina Jaworek, collaboratrice du SCI. « L’idée était que les demandeurs d’asile puissent décrire et raconter publiquement leurs histoires. Et que les volontaires, comme le public, puissent entendre, comprendre le quotidien et les abus subis, afin d’adapter leur vision de leur situation. C’est une manière, aussi modeste soit-elle, de répondre à la question: comment supprime-t-on les injustices? », ajoute-t- elle.
Le théâtre, cette arme politique!
En 2016, Ras El Hanout, une ASBL de Molenbeek dont l’objectif est de favoriser l’éducation, la sensibilisation et les échanges par la culture, a lancé le projet de théâtre-action Réfugiez-nous. La pièce est basée sur plusieurs scènes illustrant les différentes étapes vécues par un demandeur d’asile fraîchement arrivé en Belgique. Le public est ensuite invité à commenter la pièce et à proposer des alternatives, avant de finalement jouer de nouvelles scènes, selon les propositions élaborées. L’effet de conscientisation est immédiat.
« En se mettant concrètement à la place des personnes opprimées, le public prend davantage conscience de la situation exposée », précise Sabine Jaworek. Outre le fait d’être un moyen d’expression et de cohésion sociale, le théâtre de l’opprimé et le théâtre-action sont aussi d’incontestables outils politiques.
(1) Augusto Boal, Le théâtre de l’opprimé, Paris, La Découverte, p. 11.
(2) « Le théâtre- action, expression des minorités », sur http://culture.ulg.ac.be.