Chacun a le droit de suivre la voie professionnelle qu’il désire. Pourtant, filles et garçons freinent encore leurs désirs, bloqués par de vieux stéréotypes. Des entraves dont l’opération « Girls day, Boys day » tente de les libérer.
Qu’est-ce que tu voudrais faire plus tard? Voilà une question classique, que tout enfant se voit poser dès qu’il est en mesure de parler. Il est alors rare d’entendre un petit garçon répondre « coiffeur » ou « secrétaire », et une petite fille, « mécanicienne » ou « pompière »! Des réponses qui, aux plus jeunes âges, provoquent l’hilarité; au moment de l’adolescence, au mieux la surprise, au pire l’indignation, voire le rejet. En atteste le témoignage d’Adil, aspirant auxiliaire familial: « C’est un métier qui implique de repasser, faire la vaisselle, préparer à manger… Mon entourage a très mal réagi quand j’ai annoncé vouloir faire ces études. Pour eux, je devais faire quelque chose de plus salissant: un garçon, ça fait de la plomberie! » Et celui de Laurie, étudiante en mécanique: « Mes parents étaient réticents. Pour eux, je n’allais pas supporter les remarques des garçons à l’école et je n’avais pas un caractère assez fort. »
Ce qui freine le plus les élèves, ce sont bien les stéréotypes et les normes de genre.
Des réactions qui, en 2017, n’étonnent hélas pas Audrey Heine, responsable du projet Girls day, Boys day (GDBD) qui sensibilise les élèves (du premier et second degré) et les enseignants aux stéréotypes de genre liés au choix de lières d’études ou de métiers. L’objectif? Éviter que les jeunes fassent les « mauvais choix » et les aider à comprendre qu’il n’existe pas de professions réservées à l’un ou l’autre sexe. Concrètement, cela démarre en novembre, avec une campagne de communication menée auprès des écoles. Par la suite, au printemps suivant, les écoles qui se sont inscrites accueillent une animation de deux heures. Sont organisées dans la foulée des rencontres avec des professionnels sous diverses formes: théâtre, visites de lieux de travail, questions/réponses avec des témoins… De quoi permettre aux jeunes de découvrir des métiers atypiques, exercés traditionnellement par des hommes ou des femmes.
Curriculum caché
« Très tôt, garçons et filles sont catégorisés dans des rôles qui brideront leurs choix, dont les options scolaires et professionnelles », explique Audrey Heine, licenciée en psychologie. « Dès la grossesse, quand on annonce à un couple qu’il attend un garçon ou une fille, l’attitude diffère: la façon de toucher le ventre, de parler au bébé… » Et cela s’intensifie avec les années. À l’adolescence, les jeunes baignent dans les stéréotypes: entre eux, dans la famille, à l’école… À propos de cette dernière, Audrey Heine évoque notamment le problème du « curriculum caché »: « Inconsciemment, les professeurs ont des attentes différenciées selon le sexe des élèves. De nombreuses études montrent qu’ils n’ont pas le même discours avec les filles et les garçons, n’accordent pas le même temps de parole, n’appliquent pas nécessairement le même système de cotation… Cela génère une orientation qui va encourager les premières dans un sens, les seconds dans l’autre. D’où, par exemple, le cliché des filles plus littéraires et des garçons plus matheux. »
La non-mixité engendre les inégalités
Si l’on s’en réfère aux indicateurs de l’enseignement, les choix de filières sont extrêmement genrés: on trouve ainsi plus de filles en puériculture (2% de garçons), dans le domaine des soins de santé (11% de garçons font des études d’infirmiers) et plus de garçons en informatique (16% de filles), électronique (2% de filles), menuiserie (à peine 1% de filles). Des choix qui, plus tard, alimenteront la ségrégation. « Légalement, il n’y a aucune restriction de genre pour l’accès aux études, explique Audrey Heine, ce serait discriminatoire! » Ce qui freine le plus les élèves, ce sont bien les stéréotypes et les normes de genre. Et s’il est difficile de combattre ceux véhiculés dans le cercle privé, au sein de l’école, il est possible d’interférer… D’où la mise sur pied du GDBD en 2010 en province du Luxembourg et dans le Brabant wallon, en 2012 en Wallonie, en 2013 à Bruxelles, projet soutenu par le ministère pour les Droits des femmes. « Il y a une impulsion politique plus forte qu’avant, constate la responsable. Mais ça ne percole pas toujours au niveau de la société civile, de l’école en particulier. C’est un milieu résistant au changement. Il n’est pas facile de demander à des professionnels de revoir leur pratique. Au début, certains enseignants refusaient d’assister aux animations: ils ne se sentaient pas concernés. »
La communication aidant, les barrières se sont toutefois levées. En 2013, 24 écoles et 52 classes ont participé au projet, en 2016, elles montaient à 59 pour 212 classes. « Quand une école s’engage, il y a une forme de contrat moral qui l’encourage à aller jusqu’au bout du projet. Globalement, le bilan est positif. Nous travaillons aujourd’hui avec des écoles porteuses (certaines se réinscrivent chaque année) qui font des émules, sont enthousiastes. Les enseignants comprennent bien les enjeux. Quant aux élèves, plus de la moitié découvrent seulement là des thèmes liés aux stéréotypes. Ils prennent conscience de leur liberté de choix, même si certains avouent leur crainte à l’idée de devoir annoncer un choix atypique à leur famille. Nous ne pouvons hélas pas les réinterroger plus tard pour voir ce qu’ils auront effectivement choisi car les évaluations sont anonymes, mais on a bon espoir. »
De part et d’autre, la plus grande frustration tient au fait que l’opération n’ait lieu qu’une fois par an, faute de temps… et de moyens. « Les coûts sont limités. Idéalement, on voudrait mener l’opération partout. En attendant, nous sommes ouverts à un maximum d’établissements. »