Espace de libertés – Novembre 2017

Iran. Discours idéologique mâtiné de séduction rhétorique


International

Alors que Donald Trump menace régulièrement de remettre en cause l’accord nucléaire conclu avec l’Iran, le dernier discours du président Hassan Rohani devant les Nations unies interpelle. Les spécialistes de la région auront noté l’évincement d’une sempiternelle rhétorique belliqueuse au profit de mots et de références, soigneusement choisis. Analyse.


Les mots « paix », « modération », « liberté », « démocratie », « droits de l’homme et des peuples » ont marqué le début et la fin de l’élocution du président iranien lors du débat annuel de l’Assemblée générale des Nations Unies. Une première! Certes, on peut légitimement se poser la question de la véracité et de la croyance profonde en ces termes, mais force est de constater que ce vocabulaire est utilisé par un pays décrit par certains comme l’un des plus dangereux et des plus menaçants pour la communauté internationale. Force est de constater aussi que nos sociétés ont plus que jamais besoin d’entendre prononcer ces mots, aussi symboliques soient-ils, surtout au regard des déclarations musclées et belliqueuses prononcées par le président américain. Face aux paroles guerrières de Donald Trump envers l’Iran, d’aucuns auraient attendu une réponse du berger à la bergère. Ce ne fut pas le cas. Hassan Rohani a plutôt déployé un argumentaire nuancé, sans tomber dans les travers d’une attaque frontale, fidèle à une lignée rhétorique traditionnelle teintée de menaces. Prenant le contre-pied de ses prédécesseurs, le président iranien a préféré épingler un discours américain « haineux et rempli de rancœurs » qui n’est pas digne d’une institution telle que les Nations unies. Il est même allé un cran plus loin, avec une formulation toute poétique, évoquant la nécessité d’une « synergie des idées et non pas de danse du sabre ». Une manière de marquer sa préférence pour la valorisation de la confrontation des idées et d’un dialogue entre opposants, au détriment de l’utilisation de la violence, de la force armée et de la menace. Le président iranien n’hésitant pas à être encore plus explicite par la suite: « Nous ne menaçons personne et nous n’acceptons ni les menaces ni les intimidations », et plus loin: « Nous croyons au dialogue et à la négociation sur un pied d’égalité et dans le respect mutuel. »

Face aux paroles guerrières de Donald Trump envers l’Iran, d’aucuns auraient attendu une réponse du berger à la bergère.

Repositionnement géopolitique?

Par cette dialectique, il est intéressant de noter que l’Iran émet implicitement une reconnaissance pleine et entière de l’ONU. Mais lorsqu’il précise que « les destins des peuples sont liés », Hassan Rohani rappelle aussi indirectement le ralliement de l’Iran à la cause palestinienne et l’importance de défendre les droits fondamentaux du peuple palestinien, sans oublier « les musulmans du Yémen, de la Syrie, de l’Irak, de Bahreïn, d’Afghanistan, du Myanmar qui croupissent », selon ses termes, « dans la misère, les guerres et la pauvreté ». Ce type de propos est d’ailleurs en parfaite adéquation avec la volonté géopolitique de la République islamique qui vise à rallier à elle la rue arabo-musulmane en se présentant comme le défenseur des peuples opprimés, alors que les gouvernements de cesdits pays appréhendent déjà le pouvoir d’influence d’un ordre iranien, dans la région. Conscient de cela, le président iranien assure que l’Iran ne cherche pas à imposer sa religion officielle (le chiisme) à d’autres ou à exporter sa révolution, du moins par la force des armes. Ces propos diffèrent des idéaux du début des années 1980, lorsque l’ayatollah Khomeiny appelait à « exporter la révolution islamique ». Hassan Rohani suggère que si son pays cherche à influencer, il ne le fera pas par le recours à la force des armes, mais par la promotion de sa culture et de sa civilisation: « L’Iran entre ainsi dans les cœurs et parle aux esprits » […] « Nos ambassadeurs sont nos poètes, nos mystiques, nos philosophes. Nous avons atteint les rives de l’Atlantique grâce à Rumi et élargi notre zone d’influence grâce à Saadi. Nous avons déjà conquis le monde avec Hafez. Nous n’avons pas besoin de nouvelles conquêtes! » Cette référence pour le moins originale au célèbre poète persan Rumi (XIIIe siècle) marque une césure discursive. Même si, à l’époque, la Perse était déjà musulmane, ces poètes célébraient le vin (1) et ses vertus (principalement à travers la poésie épicurienne d’Omar Khayyam et le Divan de Hafez). Parfait exemple de contradiction de la posture de l’Iran qui n’hésite pas à bâillonner la liberté de création par la pratique de la censure étatique, tout en prônant la gure subversive des poètes des XIIIe et XIVe siècles.

Lorsque le président iranien évoque le « respect des droits de l’homme », les Iraniens ne peuvent que s’étonner du fossé avec leur réalité.

Changement de ton mais…

Cette rhétorique est pour le moins inhabituelle de la part de l’Iran, tant l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad nous avait habitués à des propos provocateurs qui faisaient régulièrement bondir la communauté internationale. On observe un basculement clair d’un discours idéologique et dogmatique vers un discours plus sobre et rationnel, édicté d’un ton calme et mesuré.

Sa dialectique étonne encore, mais laisse plus circonspect, lorsque Rohani appelle « à la modération, au respect des droits de l’homme, à la prospérité et à un engagement constructif dans le monde » (2). Lorsque le président iranien évoque le « respect des droits de l’homme », les Iraniens ne peuvent que s’étonner du fossé avec leur réalité. Répression institutionnalisée, arrestations arbitraires, lapidation, limitations imposées à la liberté de création, de pensée et de conscience: les enfreintes aux droits de l’homme sont légion en Iran. Sans oublier que la peine de mort reste le châtiment suprême. L’Iran occupe d’ailleurs la seconde place en nombre d’exécutions après la Chine. Évidemment, ces aspects n’ont pas été abordés par Hassan Rohani, qui s’était pourtant engagé dès le début de son premier mandat et durant toute sa campagne électorale en 2013 à faire libérer les prisonniers politiques. Et là, force est de constater que le peuple iranien, éduqué, n’est pas dupe de cette entreprise de séduction dialectale.

L’objectif ultime du discours du président iranien peut ainsi se résumer en deux visées bien distinctes: à la fois rassurer la communauté internationale dans une conjoncture de méfiance et gagner la confiance des investisseurs étrangers, en soulignant que « l’Iran peut devenir une nouvelle économie émergente, notamment grâce à ses réserves de pétrole et de gaz naturel en s’engageant à entreprendre une coopération à long terme pour faire avancer la sécurité énergétique dans le monde entier ».

 


(1) Alors que la consommation de vin et d’alcool est interdite depuis l’avènement de la République islamique d’Iran, avec l’existence d’un marché noir florissant de boissons interdites sur le territoire iranien.

(2) Les propos cités d’Hassan Rohani dans le présent texte sont issus d’un travail d’interprétation du persan vers le français de la part de l’auteur, Hanieh Ziaei.

(3) Sadik Jalal Al-Azm, « Au miroir de l’Occident », dans Manière de Voir, n° 48, novembre-décembre 1999, p.34.