Espace de libertés – Novembre 2017

Du cosmétique pour masquer les problèmes de fond?


Dossier

Quelle est la situation dans nos prisons? Tumultueuse et complexe. Mais également axée sur la création de nouvelles grosses structures et trop peu sur les politiques de réinsertion.


Entre les réductions budgétaires imposant des économies de 10% dans les frais de personnel, la surpopulation carcérale, un conflit social de longue durée qui s’est mué en grève générale des agents pénitentiaires et la crise humanitaire qui en a découlé pour les détenus et leur famille, les défis à relever ont été intenses et complexes au sein des prisons, en 2016. Une situation d’ailleurs qualifiée de tumultueuse par le ministre de la Justice Koen Geens, en guise d’introduction au dernier rapport de la direction générale des Établissements pénitentiaires.

Chiffres et mise en perspective (1)

Sur les 60 pages du rapport, plus de 25 sont dédiées aux chiffres et statistiques. Bien que ceux-ci soient éclairants en terme absolu, on ne peut que déplorer leur manque de mise en contexte et le peu de commentaires afférents. Le rapport révèle en effet que la surpopulation carcérale est en recul par rapport aux années précédentes (on est passé de 23,7% en 2012 à 9,6% en 2016). Alors que quatre établissements pénitentiaires (Dinant, Berkendael, Namur et Jamioulx) sont toujours surpeuplés avec un taux de 35%, à l’inverse, 13 prisons ont affiché une population moyenne inférieure à la capacité théorique (2). Aucune explication n’est donnée sur ces importantes différences et les causes possibles de cette problématique. Or, on sait que les raisons les plus connues de la surpopulation sont le nombre trop faible de libérations conditionnelles et celui, trop important, de détentions préventives. Concernant la première cause, en 2016, on apprend que sur un total de 13.076 libérations, seuls 736 détenus ont bénéficié d’une libération conditionnelle (avec ou sans surveillance électronique), alors que plus de 830 détenus sont sortis à l’issue de l’entièreté de leur peine. Concernant la deuxième cause, le chiffre de la détention préventive ne varie presque pas depuis 2012 et reste toujours trop important (33%) par rapport à d’autres pays d’Europe (la Grande-Bretagne: 15%, l’Allemagne: 17%, la Finlande: 18%, la France: 21%, la Suède: 25%, la Norvège: 29 %).

Absence de chiffres sur la récidive et la réinsertion

Aucun commentaire ni analyse ne sont établis dans le rapport entre ces trois éléments – surpopulation, libération et détention préventive – alors qu’ils nous semblent être au cœur de la problématique. Cela mériterait de s’y attarder. Autre élément d’explication complémentaire, également absent du rapport: le ratio du nombre de détenus par habitant en Belgique (94/100.000 habitants). Celui-ci est bien plus élevé que dans d’autres pays du nord de l’Europe (en Suède, par exemple: 44/100.000; aux Pays-Bas: 62; en Allemagne: 75), ce qui pose donc la question du recours trop important, en début de chaîne pénale, à la peine privative de liberté comme solution mise à disposition des juges.

D’autre part, on ne peut que déplorer l’absence de chiffres ou de commentaires sur la récidive. Or, selon une étude de l’Institut national de criminalistique et de criminologie (3), celle-ci serait de 50% alors que dans d’autres pays d’Europe (la Suède et la Finlande en particulier), les taux sont beaucoup moins élevés, notamment grâce à une modification totale de leur politique en matière d’enfermement, axée sur des petites unités de vie et des régimes ouverts ou semi-ouverts, permettant une réinsertion possible. Résultat de ces politiques au nord de l’Europe: les prisons se vident!

Le rapport n’indique pas non plus le fait que 45% des détenus possèdent à peine leur CEB, que 30% sont analphabètes, qu’un détenu sur trois consomme des drogues illicites ou licites et que le taux de suicide en prison est six fois supérieur à la moyenne belge (4). Autant d’éléments qui ne favorisent pas une réinsertion dans la société et qui entraînent un risque accru de récidive.

Nouvelles prisons, une obstination

Enfin, un chapitre entier du rapport est consacré aux nouvelles constructions, rénovations et différenciations des peines. La construction de nouvelles prisons étant justifiée pour pallier la surpopulation carcérale et l’état vétuste de certains anciens établissements. Le Master plan III prévoit la construction de deux prisons de 312 places chacune, à Leopoldsburg et à Vresse-sur-Semois. Sans oublier la nouvelle maison d’arrêt sur le site de la prison de Lantin et ses 312 places, les 240 places de la nouvelle prison de Verviers et le très controversé projet de méga-prison de Haren, d’une capacité carcérale de 1200 places. On peut émettre de sérieux doutes face aux velléités d’extension du parc pénitentiaire belge comme « remède miracle » à la surpopulation. L’absence de possibilité de contrôle du Parlement concernant les montages financiers (partenariat public/privé) qui président à la construction de ces infrastructures est également très préoccupante en termes de démocratie. Sans compter les questions liées au respect des droits de la défense qu’implique la possibilité pour les chambres du Conseil et des mises en accusation de siéger dans les prisons.

Manque de vision à long terme

Outre l’absence de chiffres clairs sur l’état des prisons et le flou quant aux objectifs à atteindre en termes de diminution de la population carcérale (5), l’on peut aussi regretter que les autorités ne s’inspirent pas davantage des nombreuses études criminologiques qui démontrent un lien direct entre l’augmentation du parc carcéral et du nombre de détenus, in fine, sans résolution du problème de surpopulation. Rappelons encore les récentes condamnations de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme pour traitement inhumain et dégradant des détenus et l’avis très critique du Comité européen pour la prévention de la torture relatif à l’absence de service minimum dans les prisons en cas de grève. Malgré les bonnes intentions affichées et certains projets-pilotes intéressants développés en Flandre (6), le manque de vision à long terme du ministre pour remédier notamment aux trop nombreuses incarcérations sur-peuplant encore et toujours les établissements pénitentiaires, les conditions déplorables de détention des personnes internées ou détenues et, plus globalement, le manque de sens donné à la peine et à l’incarcération, sont interpellant.

 


(1) Sources: rapports de la DGEPI 2014- 2015-2016, »Plan Justice » de Koen Geens et rapport de la Coordination des associations actives en prison « L’offre de service faite aux personnes détenues dans les établissements pénitentiaires de Wallonie et de Bruxelles » – synthèse 2013 – 2014.

(2) La Belgique dispose de 35 établissements pénitentiaires où sont incarcérées 10.618 personnes pour un nombre de places théoriquede 9686.

(3) Éric Maes, Benjamin Mine et Luc Robert, « Les premiers chiffres nationaux de la récidive sur la base du casier judiciaire central », dans Journal de la Police, n°1, 1er juin 2016, pp. 28-30.

(4) Le nombre de suicides est de 12, chiffre un peu moins important que pour les années précédentes (18 en 2014 et 16 en 2015 mais qui est toujours très élevé comparé à la moyenne.)

(5) Via notamment les réformes législativesen cours (« pots- pourris » successifs).

(6) Comme le projet de téléphonie en cellule.