Espace de libertés – Novembre 2017

Centrafrique. La solitude d’un président


International

Au cœur du continent africain, les tensions perdurent. Après deux guerres civiles, la Centrafrique est divisée en régions contrôlées par des milices et autres groupes armés. Dépité, le chef de l’État tente de sortir son pays de la « spirale de violence intercommunautaire ».


Les rares informations qui parviennent de ce pays souvent oublié sont alarmantes: si le sous-secrétaire général adjoint de l’ONU aux affaires humanitaires a évoqué des signes « avant- coureurs de génocide » et que l’International Crisis Group parle lui aussi de « risque de génocide », c’est parce que de larges zones du pays échappent au contrôle de l’État et sont livrées à des bandes armées. Tandis qu’à Bangui, la capitale, les citoyens de confession musulmane, soupçonnés d’avoir soutenu les rebelles durant la guerre civile, se plaignent d’être discriminés, interdits d’accès dans certains quartiers. Même si les imams et les prêtres catholiques ont tenté, ensemble, de ramener la paix, les violences commises sur une base religieuse ont été telles que d’aucuns doutent même de la viabilité du pays… Mi-octobre, de graves violences ont encore été observées dans le Sud-Ouest, coûtant la vie à de nombreux civils.

Charnière entre l’Afrique sahélienne et l’Afrique centrale, où se croisent des éleveurs peuls musulmans et des cultivateurs chrétiens ou animistes, la Centrafrique ne fut longtemps qu’un pays de garnison où les colonisateurs français n’investirent que le strict minimum. Après l’éviction de Jean-Bedel Bokassa, un ancien caporal de l’armée française qui s’était fait nommer « empereur », les putschs militaires se sont succédés ainsi que les conflits entre les forces gouvernementales et des groupes armés souvent formés dans les pays voisins, qui constituaient leur base arrière, le Tchad entre autres…

Une stabilisation très fragile

Le dernier conflit en date (début des années 2010), le plus dramatique, opposa la milice Seleka, composée de mercenaires venus de toute la région, à des groupes d’autodéfense formés par les cultivateurs en majorité chrétiens, les anti-Balaka. Les combattants de la Seleka, sorte de « soldats sans frontières », s’étaient aventurés au départ de la frontière tchadienne, rejoints par des musulmans de Centrafrique. Parmi leurs adversaires se trouvaient d’anciens militaires qui avaient servi sous le président François Bozize.

Les deux groupes armés commirent de terribles exactions, pillant les villages, emportant les récoltes et le bétail, multipliant viols et massacres… Des centaines de milliers de civils furent déplacés ou obligés de fuir dans les pays voisins. Pour mettre fin aux tueries et enrayer l’invasion des ex-Seleka, la France fut obligée, en décembre 2013, de déployer l’opération Sangaris. Ces 2.000 hommes furent ensuite retirés en octobre 2016, pour être remplacés par une force des Nations unies, la Minusca (Mission pour la stabilisation de la Centrafrique), composée de contingents africains, burundais, congolais de Brazzaville et de RDC, rwandais, marocains… À l’heure actuelle, les Congolais des deux rives du fleuve ont
été retirés pour mauvaise conduite et les Marocains ont été accusés de prendre parti pour les musulmans.

Dans le nord-est du pays, voisin de l’Ouganda et du Soudan, l’armée ougandaise avait également déployé des troupes, aux côtés d’une mission militaire américaine, dans le but de combattre la LRA ougandaise (Lord’s Resistance army), une milice opposée au président Museveni. Mais ces contingents ont été retirés.

Justice et réparation avant l’amnistie

Depuis son arrivée au pouvoir en mars 2016 le président Touadéra, un mathématicien de formation, s’est efforcé d’incarner le changement, la rupture avec la logique des chefs de guerre. Lors de son mandat comme Premier ministre du général Bozizé, il avait institué la bancarisation, c’est- à-dire le paiement des traitements par voie bancaire afin de lutter contre les détournements.

Le président dénonce le manque de moyens de la Minusca.

En 2008, Touadéra conduisit le dialogue entre les groupes armés, qui déboucha sur la conclusion de plusieurs accords de paix. Dans ce pays divisé sur des lignes de fractures confessionnelles, ethniques, régionales, il réussit à faire de bons scores dans tous les territoires du pays et remporta, à la surprise générale, l’élection présidentielle.

Aujourd’hui, le président dénonce le manque de moyens de la Minusca et assure que les pays voisins lui demandent l’impossible. En effet, alors que de nombreux hommes armés venus du Tchad, de l’Ouganda, du Soudan opèrent en Centrafrique, multipliant les exactions et surtout les viols et les pillages, les chefs d’État de ces pays d’origine exercent une pression terrible sur Bangui pour que la paix passe par l’amnistie générale. Une mesure que Touadéra refuse catégoriquement, car la Constitution promulguée en 2015 interdit cette amnistie et surtout parce que les victimes exigent justice et réparation. « Nous avons mis en place un gouvernement inclusif comprenant des membres des forces rebelles, nous avons commencé un processus de désarmement et de démobilisation qui a déjà permis à 60 éléments d’être intégrés dans les forces de sécurité. Mais nous voulons aussi mettre en place un État de droit et respecter les droits des victimes. Il n’est donc pas question d’instaurer l’impunité… », déclare le président.

Les richesses d’un pays pauvre

Pourquoi de telles pressions? Même si la population de Centrafrique est l’une des plus pauvres du continent, le pays, sous-développé et sous-exploité, ne manque pas de richesses. L’or et les diamants qui font la fortune des groupes rebelles établis dans les sites miniers, mais aussi l’uranium et les terres arables – 15 millions d’hectares – qui attirent évidemment les populations des pays sahéliens touchées par la sécheresse. Le pétrole représente également un enjeu important. Découvert près de la frontière soudanaise, les sociétés françaises, entre autres, rêvent de l’exploiter. Mais elles se trouvent en concurrence avec les Chinois qui souhaiteraient l’exporter via le pipe-line qui traverse le Soudan et aboutit à Port-Soudan, sur la mer Rouge…

Dans ce pays qui compte un demi-million de déplacés intérieurs, le chaos, le désordre, la faiblesse de l’État et l’impunité favorisent de nombreux intérêts privés. Et le président Touadéra est bien seul lorsqu’il réclame que l’on lève l’embargo sur les armes afin de permettre aux deux nouveaux bataillons de sa jeune armée d’être opérationnels. Bien seul aussi lorsqu’il explique qu’« avec Boko Haram qui sévit au Nigeria d’un côté, la NRA (National Resistance Army) qui se bat du côté du Soudan et de l’Ouganda, notre pays se trouve au centre d’un arc de crise qui pourrait déstabiliser le cœur de l’Afrique ».