Installé en France après avoir vécu à Los Angeles, le Libanais Ziad Doueri (« West Beyrouth », « L’Attentat ») revient avec « L’Insulte ». Une altercation presque banale entre un chrétien libanais et un réfugié palestinien, qui prend des proportions énormes… Un drame à hauteur d’hommes sur la haine et la douleur, que le cinéaste refuse toutefois de qualifier d’engagé.
Ce film, c’est votre façon de mettre en images les haines tenaces qui opposent certaines communautés depuis des générations?
Vous vous souvenez d’American History X, où Edward Norton campait un néonazi qui assassine un black et va en prison? Ce film m’a marqué car il dresse le portrait d’un homme extrêmement violent qui va se transformer pour devenir un homme meilleur. Je trouve ce genre de récit très intéressant. Dans L’Insulte, Tony, chrétien haineux, est confronté à Yasser, un Palestinien renfermé. On se demande pourquoi Tony le déteste autant, alors on creuse; dans le même ordre, on se demande pourquoi les avocats s’emparent de l’affaire, là aussi, on creuse… Dramatiquement, c’était ça qui m’intéressait. Je ne fais pas de films historiques, engagés, politiques. J’aime les personnages. Il ne faut pas creuser le contexte historique et politique du Liban pour comprendre ce film, oubliez le contexte sociopolitique. L’histoire a une portée universell: elle pourrait se produire en Belgique entre un Wallon et un Flamand. Ne donnez pas au film une dimension politique qu’il n’a pas.
Le film montre aussi qu’en allant l’un vers l’autre, on peut faire évoluer les choses. Ça a l’air presque simple. À se demander pourquoi cela ne se reproduit pas plus souvent et plus fort?
Excellente question! Je ne sais pas comment cela se passe dans la vie. Mais moi, c’est comme cela que ça s’est passé dans la mienne. J’ai été élevé dans une famille d’extrême gauche, ultra militante, engagée pour la cause palestinienne. Le Libanais chrétien rallié à la cause israélienne représentait l’ennemi juré. Vingt ans plus tard, j’ai changé. Via une démarche personnelle. J’ai quitté le Liban au début des années 1980 pour aller aux États-Unis. Partir éloigne des passions et de la haine. Ce n’est pas toujours le cas: certaines personnes, même envoyées sur Mars, se détesteraient toujours autant. Dans mon cas, j’étais clairement anti-Juifs. Arrivé à Los Angeles, j’ai rencontré des Juifs. Pas les pilotes qui m’ont bombardé pendant des années, mais des étudiants comme moi, de l’école de cinéma. Au début, c’était difficile. C’est comme la première fois que j’ai goûté du porc! Il m’a fallu un an avant de pouvoir en avaler. Mais aujourd’hui, je suis un expert! Donc, peut-on aller vers l’autre et l’apprécier? Dans mon cas, oui, j’ai même épousé une chrétienne!
Existe-t-il vraiment des procès pour insulte au Liban?
La loi stipule en tout cas que tu ne peux pas insulter la croyance, la race ou la culture de quelqu’un. Si je dis à quelqu’un « J’encule ta mère », je ne crains rien, mais si j’attaque sa race ou sa culture, c’est différent. Le film était crédible sur ce point. Je bossais d’ailleurs avec une consultante juridique: ma mère!
Elle a inspiré le personnage de l’avocate?
Pas nécessairement, mais je tiens beaucoup d’elle. Je suis très attaché à la justice. Dans ma vie, j’ai été victime et témoin de nombreuses injustices, liées à la guerre. Que quelqu’un soit arrêté, battu, humilié, torturé, ça n’est pas juste. C’était mon quotidien. Très vite, l’idée de justice, dans le sens d’être juste, a guidé ma vie. On peut me baiser comme on veut, mais qu’on ne touche pas à mes droits, je deviens furieux. Je peux devenir violent, pas physiquement, mais je ne lâche rien et je me bats jusqu’au bout pour que justice soit rétablie. C’est arrivé avec mon précédent film, L’Attentat. Toutes les séquences de L’Insulte mettant en scène l’avocat chrétien sont une réponse à ceux qui ont interdit ce film dans le monde arabe, ils ont mené une campagne immonde contre lui.
Craignez-vous que L’Insulte soit récupéré à des fins politiques?
Il y a une récupération positive: il est sorti au Liban et a connu un gros succès, et il est déjà enseigné dans quelques écoles et présenté dans des groupes de psychothérapie. Officiellement, le Liban a tourné la page, la guerre est finie. Mais on n’a pas toujours écouté les victimes. Il y a toute une thérapie à mettre en route. Et le film semble aider pour délivrer la parole. Mais je précise que ce n’était pas mon but: je n’ai pas fait L’Insulte pour donner une leçon de politique, changer la société ou aider les Libanais. Il aurait été raté! Il serait devenu un film de cause et je ne veux pas qu’on le voie comme ça.