Espace de libertés – Février 2018

Une anthologie de la caricature antimaçonnique


Des idées et des mots

Qu’il y a-t-il de commun entre les francs-maçons, les juifs, les capitalistes, les satanistes, les impérialistes et quelques autres joyeux turlupins du même calibre? Selon certains, ils se seraient tous ligués pour faire le malheur du genre humain… En tout cas, c’est que l’on prétendait à grand renfort de propagande dans les milieux antimaçonniques durant le XIXe siècle et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale incluse. Dans la presse de l’époque, le dessin caricatural était l’un des moyens les plus prisés des polémistes de tout poil. Souvent de qualité mais parfois médiocre, volontiers ordurière mais toujours féroce, la caricature présentait en effet de nombreux avantages dont celui de faire souvent mouche en mettant les rieurs de son côté. De nombreux dessinateurs talentueux prêtèrent leur concours à des publications qui ne reculaient devant aucune outrance pour salir leurs adversaires. Et l’on ne faisait pas dans la dentelle à l’époque: mensonges éhontés, travestissements de la réalité, attaques personnelles et dénonciations calomnieuses y étaient monnaie courante. Les fake news d’aujourd’hui ne sont d’ailleurs que de pâles copies de ce qui était courant dans la presse engagée d’alors où tout était bon pour noircir « l’ennemi » – qui de son côté se défendait d’ailleurs avec les mêmes armes.

L’ouvrage qui vient de paraître aux éditions Luc Pire propose un florilège des meilleurs dessins du genre. On le parcourra sans déplaisir, tant pour son côté documentaire que pour la qualité artistique de certains dessins. Comme les gouaches d’Henri Gustave Jossot par exemple, dessinateur libertaire qui dans L’Assiette au beurre, le célèbre magazine satirique français du début du XXe siècle, laissait libre cours à sa propension personnelle à dénoncer toutes les formes de pouvoirs. Même jusqu’à la nausée. Mais au-delà de son caractère historique, ce livre d’Éric Van den Abeele pose en filigrane d’autres questions car, comme le rappelle l’historien Joël Kotek dans sa postface, « les mots et les images peuvent pousser au crime ». À l’heure où l’hallucinante paranoïa conspirationniste antimaçonnique semble connaître d’étranges résurgences, ce n’est pas la moindre des interrogations paradoxales soulevées par ce pan de notre histoire politique et culturelle. (jph)