Espace de libertés – Février 2018

Complots, « fake news » et fatigue du mardi soir


École

Pierre-Stéphane Lebluy est enseignant à Gosselies. Pour la première fois de sa carrière, il donne un cours de « philosophie et citoyenneté ». « Espace de libertés » le suit tout au long de l’année pour comprendre les enjeux – théoriques et pratiques – de ce cours; percevoir, au plus proche du terrain, les doutes et les espoirs qu’il suscite. Épisode 3: reportage en classe. Où l’on aborde l’épineux sujet des complots et des « fake news ».


Quatorze jeunes de troisième secondaire « arts plastiques » et « techniciens commerciaux » de l’athénée royal Les Marlaires, à Gosselies, s’installent dans la salle de classe. Ils sont agités, car c’est la fin de la journée. C’est l’heure du cours de philosophie et citoyenneté.

Pas évident pour leur professeur, Pierre-Stéphane Lebluy, de les accrocher à son cours sur les fake news. Le but est de travailler sur le discours et ses pièges. « Car souvent dans le domaine de la politique, on prend un peu de vérité, on l’enrobe de mensonges », explique Pierre-Stphane Lebluy. Tout un programme… un peu abstrait. Pour le rendre plus concret, le professeur propose d’entrée de jeu une « petite expérimentation », recensée lors du premier épisode. On tente in vivo de reconstituer la fameuse caverne de Platon.

Cinq élèves s’assoient. Ils font face à un mur blanc. Derrière eux, quatre élèves se tiennent debout et agitent les bras. Un élève tient une lampe de poche et la secoue pour faire bouger les ombres sur le mur. Un autre groupe observe la scène pour « essayer de définir des concepts qui seront appliqués par les autres ». « J’ai rien compris », balance à demi-ton un élève.

Mais les choses se précisent. On demande aux élèves d’imaginer que ces ombres sont des branches. Puis on les éblouit avec la lampe et on les conduit vers la fenêtre où ils observent les branches réelles, qu’on aperçoit dehors. « Avant, ces élèves ne connaissaient que l’ombre d’une branche, explique Pierre-Stéphane Lebluy. Ils ne connaissaient que le mur, on va les libérer du mur. » « Il s’agit de leur faire apprendre alors », enchaîne un élève. On joue avec les symboles pour cerner une idée que résume le prof: « Tant qu’ils regardent le mur, ils sont ignorants. Pour l’information c’est un peu pareil, tant qu’on la regarde d’une seule manière, on ne peut pas avoir la bonne info. C’est une question de sens critique. »

L’anticomplot serait-il complotiste?

Pierre-Stéphane Lebluy décrit en quelques mots le travail des journalistes, censés croiser leurs sources, chercher des confirmations, recouper les infos. Puis il projette les premières minutes d’un documentaire déconstruisant les arguments des sites complotistes. Son auteure n’est autre que la controversée Caroline Fourest. On y mentionne le complotiste français, Thierry Meyssan, qui s’était fait connaître en contestant la « version officielle » des attentats du 11 septembre. On parle de son étonnant parcours: de la défense de la cause homosexuelle, de la liberté d’expression, et même de la pornographie dans les années 1990, jusqu’au soutien du régime iranien dans les années 2000. Mais d’autres complots sont abordés, notamment ceux que véhiculent l’extrême droite et certains sites estampillés « antisystème ». Un dirigeant de l’ONG Conspiracy Watch est interviewé. Son but est justement de décrypter et dénoncer ces complots faciles.

Le film s’arrête. Les élèves discutent quelques secondes de la notion « d’antisystème ». L’un d’entre eux estime que ces complots dont on parle « ne sont peut-être pas faux ». « J’ai vu plein de vidéos dans lesquelles les tours (du World Trade Center, NDLR) ne sont pas tombées à cause des avions, mais à cause des bombes dans les tours », dit-il. Pierre-Stéphane Lebluy se demande si « celui qui tient la lampe », dans le jeu de la caverne, donc celui qui tire les ficelles, n’est pas justement celui qui lance ces fausses informations à destination d’un public crédule. Le jeune homme ne se démonte pas: « Peut-être que celui qui veut nous entuber c’est celui-là avec les lunettes (l’homme de Conspiracy Watch, NDLR), peut-être qu’il ment. »

Le but du cours est d’apprendre aux élèves « à ne pas se limiter aux premières choses qu’ils vont voir », nous dit Pierre-Stéphane Lebluy. Des élèves s’intéressent, discutent entre eux du bien-fondé de certaines théories conspirationnistes. D’autres attendent que le temps passe. On évoque un peu la personnalité de Thierry Meyssan. « Qu’en avez-vous retenu? » demande le professeur. « Il était pour la pornographie », lâche, enthousiaste, un élève. « Ah ça, tu as bien retenu », rétorque, sur le ton de l’humour, l’enseignant. Tout le monde semble un peu fatigué. Le cours s’arrête brusquement. Déconstruire les préjugés, cela prend du temps et l’heure de la sortie est arrivée.