Espace de libertés – Février 2018

Culture

L’immigration en Belgique, une thématique qui fait débat dans l’espace public et dont le monde culturel s’empare pour dénoncer le rejet de l’Autre, s’indigner, pousser la réflexion ou encore éveiller les consciences grâce aux mémoires de notre pays. Rencontre avec Bruno Benvindo, curateur du Musée juif de Belgique qui a rouvert ses portes avec l’expo « Bruxelles: Terre d’accueil? ».


La thématique est universelle et on ne peut plus d’actualité: celle de l’immigration qui a façonné la Belgique et plus principalement Bruxelles, authentique ville-monde avec ses 184 nationalités. Cette expo envoie un message d’ouverture et démontre un positionnement citoyen que prône le musée Juif en réponse à l’attentat du 24 mai 2014 et aux politiques d’accueil (« ou de non-accueil ») appliquées en Europe aujourd’hui. Avec « Bruxelles, terre d’accueil? », c’est « l’histoire publique belge » vue d’en bas qui s’expose et qui fait entendre les voix et histoires singulières de citoyens, anciens ou nouveaux arrivants.

L’exposition raconte les histoires d’hommes, de femmes et d’enfants, certains connus, d’autres anonymes. Des parcours aussi similaires et singuliers que de nombreux.ses habitant.e. s de notre pays sont racontés. De 1830 à aujourd’hui, le visiteur part à la rencontre de ces figures belges d’origines étrangères qui offrent à Bruxelles sa grande richesse multiculturelle dont elle est si fière. Une ouverture sur le monde en tant que deuxième ville mondiale la plus cosmopolite et dont la force bat de l’aile en ces jours politiques tumultueux.

Bruno Benvindo, curateur de l’exposition et chercheur en histoire publique explique: « Notre manière de réagir, en tant que musée, face à l’actualité et aux politiques européennes menées en matière de migration est un positionnement citoyen. Le citoyen lambda possède un pouvoir d’action. S’il est informé, conscient des enjeux et de l’histoire, il peut agir également pour une société plus juste, plus solidaire et ouverte à l’Autre. Lui donner accès aux savoirs, rencontrer des parcours de vie et prendre conscience des enjeux sociétaux que soulève la thématique de l’immigration en Belgique est notre contribution citoyenne en tant qu’institution culturelle. »

De multiples regards

Le visiteur est guidé à travers trois volets, avec d’abord un rappel historique. La première salle est un véritable voyage dans le temps grâce aux archives d’époques exposées précieusement comme des trésors retrouvés. On y voit des grands noms de l’histoire de l’immigration en Belgique comme Karl Marx, Arthur Rimbaud et Paul Verlaine ou encore le célèbre chocolatier belge d’origine grecque, Léonidas. « Ce volet historique permet au public de comprendre comment nous sommes passés d’une ville relativement modeste au XIXe siècle à ce qu’elle est aujourd’hui, à savoir, une authentique “ville- monde” et de comprendre comment et pourquoi elle a accueilli ou non ses étrangers. Une conscientisation qui permet finalement d’entrer en résonnance avec les politiques d’accueil aujourd’hui ».

Le deuxième regard se pose sur les histoires, parfois bouleversantes et dramatiques, belles et glorieuses, de seize personnes venues de l’étranger pour s’installer en Belgique ou en transit vers d’autres horizons. Certains sont sur le territoire belge depuis 6 mois, d’autres y vivent depuis 50 ans. Les organisateurs ont effectué un appel à témoignage sur un réseau social. Bruno Benvindo qui a effectué les différentes interviews raconte: « Nous avons été très agréablement surpris du nombre de réponses obtenues par des personnes d’origines et de confessions très diverses. Ces personnes ont accepté de nous recevoir chez elles et de nous confier des moments extrêmement intimes et/ou douloureux de leur histoire. » Un espace qui rend la parole « confisquée » à ces personnes dont on parle de manière abstraite dans de grands débats sans fond, laissant place au développement d’idées reçues et aux stéréotypes.

Enfin, le troisième volet offre un espace d’expression à une dizaine d’artistes basés en Belgique. Ces artistes ont travaillé sur la thématique de la diversité à Bruxelles en transmettant leur perception.

Appel à un Musée de l’immigration

En 2001, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale annonce la création de deux musées: le musée de l’immigration et le musée de l’histoire de l’Europe. Le deuxième a vu le jour le 6 mai dernier, sous le nom de la Maison de l’histoire européenne. Quant au Musée de l’immigration permettant de « raconter l’histoire sociale de la ville et de sa diversité […] et d’ainsi reconnecter les histoires des personnes étrangères venues en Belgique à l’histoire de la Belgique même », Bruno Benvindo « l’attend toujours ». Il explique: « Avec l’exposition “Bruxelles, terre d’accueil?”, nous n’avons ni la prétention ni la vocation de tenir le rôle de musée de l’immigration. Nous souhaitons plutôt ramener le sujet au-devant de la scène et relancer la question de la création de ce musée ». Pour le curateur, il est « plus que temps d’établir un musée de cette nature car l’histoire de l’immigration en Belgique fait partie intégrante de l’histoire avec un grand “H”. C’est un fait acquis! »