Espace de libertés – Novembre 2016

« La liberté de choix des parents est essentielle »


Dossier

Une interview de Marie-Martine Schyns, ministre de l’Enseignement

En avril dernier, Marie-Martine Schyns redevenait ministre de l’Enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles. Pragmatique, pour ne pas dire catégorique sur certains sujets, la jeune femme sait où elle va. Surtout face à la multitude de chantiers initiés par sa prédécesseure, Joëlle Milquet, comme le fameux Pacte d’excellence. Autant dire que sa rentrée fut chargée et les attentes face à sa politique nombreuses.

Espace de Libertés: Cette rentrée scolaire a été riche en changements. Évoquons l’un d’eux: le cours de philosophie et de citoyenneté. Il a suscité de nombreuses polémiques. Seuls les élèves de l’enseignement primaire officiel en bénéficieront. Les élèves de l’enseignement libre catholique n’auront pas accès à ce cours. La Fédération Wallonie-Bruxelles fabriquera donc deux types de citoyens?

Marie-Martine Schyns: Non, pas du tout. Ce n’est absolument pas le but de l’école de fabriquer un type de citoyen bien précis, mais plutôt de construire de futurs citoyens qui pourront se nourrir de différents enseignements. En ce qui concerne le cours, tous les élèves de tous les réseaux sont concernés par la démarche de philosophie et de citoyenneté. En effet, le référentiel s’applique à tous les réseaux et à tous les élèves. Bien sûr, dans l’enseignement libre, il n’y a pas une heure spécifique, mais des démarches transversales… Le référentiel, commun à tous, rappelle les grandes valeurs de la démocratie, toute la question du vivre ensemble. Il vise aussi la démarche philosophique qui est devenue, dès le primaire, une réalité désormais : comment arriver à mieux me connaître pour mieux aller vers les autres.

Vous avez pourtant indiqué que ce cours n’était pas simple à mettre en place…

C’est vrai. S’il fallait supprimer des heures de cours de religion ou de morale, il fallait aussi préserver l’emploi des enseignants. Puis, mettre en place un nouveau cours n’est pas une chose évidente. Tout au long, je suis restée en contact sur l’évolution de son organisation avec les pouvoirs organisateurs. Il est clair que, si certaines écoles ont des situations où tout est déjà en ordre, les prochaines semaines verront la mise en place réelle de ce cours. Il faut qu’on laisse le temps aux équipes pédagogiques de s’approprier tant l’organisation du cours que son contenu.

© Olivier WiameL’an dernier, à la même époque, nous interrogions Joëlle Milquet sur le Pacte d’excellence. Où en est ce pacte? Ces dernières semaines, on a lu beaucoup de choses à ce propos. Qu’il serait mis au frigo, que toutes les propositions n’étaient pas réalisables, qu’il se ferait dans une neutralité budgétaire. Certains y voyaient un alibi pour ne pas avancer…

Pour le moment, on en reste à la consultation du groupe d’experts. Un prochain avis arrivera à l’automne. Par la suite, leurs conclusions seront discutées au parlement et au sein du gouvernement avec une prise de décisions et l’inscription de celles-ci dans la durée, ce qui suppose un phasage, une priorisation. Je n’ai pas l’intention de faire peser sur les épaules des équipes pédagogiques toute une flopée de nouvelles mesures. Par rapport au budget, on a dégagé 21 millions d’euros pour permettre le lancement du pacte. Quant à sa mise en place, une cellule spécifique, parallèle à l’administration et composée d’experts, accompagnera toute l’opérationnalité du Pacte. Une telle cellule a montré son efficacité, pour le Plan Marshall par exemple, avec des rapports réguliers remis au gouvernement.

L’autre urgence, c’est l’élargissement du nombre de places? Le constat n’est pas neuf. La situation est critique à Bruxelles.

La vision qu’on doit avoir sur le boom démographique et la réponse à y apporter sont plurielles. D’abord, 20 millions d’euros ont été dégagés pour créer de nouvelles places, rénover ou agrandir des bâtiments. Ensuite, l’autre priorité, c’est d’améliorer les moyens existants pour optimaliser les espaces dans les écoles…

… Mais aussi d’améliorer l’attractivité d’écoles qui ne sont pas aujourd’hui complètes?

En effet. Notre volonté, c’est d’accompagner ces écoles fragiles. Tout cela s’inscrit dans une stratégie plus large. Grâce au monitoring mené par l’administration, on a déjà une vision complète entre l’offre et la demande. Mais il faut encore affiner cette étude par une cartographie plus fine afin d’évaluer différents éléments comme la situation géographique de l’école par rapport à son environnement, son quartier ou encore à l’offre des moyens de transport en commun… Bref, sur tout ce qui joue sur l’attractivité d’une école. On doit analyser également le projet pédagogique de ces écoles en souffrance afin de voir s’il convient de l’améliorer ou pas pour mieux répondre aux besoins des parents. Tout cela va faire l’objet d’un travail en parallèle à la création de places.

Ce qui nous amène à un sujet tout aussi polémique, le décret «Inscriptions». Voilà quelques semaines, Rudi Vervoort, ministre-président du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, estimait que l’objectif de mixité sociale n’était pas atteint. Vous avez alors expliqué que le décret n’en était pas la cause. Alors, pourquoi reste-t-il si décrié?

À mon sens, ce décret peut être amélioré en élargissant la possibilité de choix des parents. À condition évidemment de respecter ses deux objectifs initiaux, à savoir un souci de transparence et d’égalité à travers un formulaire d’inscription unique. Aujourd’hui, 90 % des enfants sont inscrits dans l’école de leur premier choix en Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais pour éviter les polémiques, l’une des solutions passe par la création de places avec des projets pédagogiques qui répondent au choix des parents et des enfants. Si on opère des modifications, je ne veux évidemment pas prendre ces derniers par surprise. On ne peut pas, d’une année scolaire à l’autre, changer les règles du jeu. Pour le chH, la liberté de choix des parents est un élément essentiel. À Bruxelles, à cause du boom démographique et surtout de son manque d’anticipation, la tension est telle que les parents n’ont plus cette possibilité de choix.

L’une des solutions passe par la création de places avec des projets pédagogiques qui répondent au choix des parents et des enfants.

Au sujet de l’éducation affective et sexuelle (ÉVRAS), cinq organisations de jeunesse politiques (DéFI Jeunes, Écolo J, Jeunes cdH, Jeunes MR et Jeunes socialistes) estiment qu’il serait inconcevable d’en faire l’impasse dans le Pacte d’excellence. Or, pour l’instant, elle en est absente. Et du propre aveu des acteurs de terrain, son application est inconstante…

Pourtant, l’ÉVRAS fait bel et bien partie des missions de l’école. Mais les écoles sont libres – et je reste profondément attachée à cette liberté pédagogique – de l’organiser selon leur réalité propre. Sur le terrain, 73 % des écoles gèrent l’ÉVRAS avec les centres PMS ; 61 % d’entre elles font aussi appel aux plannings familiaux comme opérateur pour venir au sein de l’école et mener un travail de sensibilisation auprès des élèves. C’est un bon signal. Ce n’est pas parce qu’on ne retrouve pas nommément l’ÉVRAS dans le Pacte d’excellence qu’il n’est pas présent de façon transversale dans ses objectifs comme à travers la question du bien-être à l’école ou celle du harcèlement, par exemple. Il y a aussi énormément d’outils de sensibilisation qui sont référencés et à disposition des enseignants. Mais comme il a été initié en 2012, il faut encore laisser le temps aux écoles de se l’approprier.

C’est un sujet qui revient souvent sur la table à savoir que l’école est censée être gratuite en Belgique. Pourtant à chaque rentrée, les familles doivent débourser pas mal d’argent, pour la cantine par exemple, mais pas seulement. Ces montants varient grandement d’un établissement à l’autre. Est-ce que cette situation peut continuer?

De notre côté, notre volonté est d’avoir plus de transparence sur ces montants demandés par les écoles. Il y a déjà eu des améliorations par rapport à ces dernières années. La Ligue des familles a reçu notre soutien pour réaliser une enquête à ce propos. À l’intérieur du pacte lui-même, des propositions sont faites pour tendre vers la gratuité, en commençant par le maternel. Mais les experts du pacte rappellent toutefois qu’il faut tenir compte des différences de financement entre les réseaux et qu’on ne peut pas passer cette réalité sous silence.