Espace de libertés – Novembre 2016

Dossier
L’accès à l’enseignement est un droit fondamental garanti par les nombreuses conventions internationales qui protègent les droits humains. Un droit pour l’enfant qui trouve son corollaire dans un devoir de l’État: celui d’organiser un enseignement.

Et pas n’importe quel enseignement, un enseignement de qualité. Car, dans un contexte où, de plus en plus, les discours dominants ne cessent de mettre en avant les vertus supposées du jeunisme (la flexibilité, la mobilité, l’esprit d’innovation…), il serait en effet paradoxal que, dans le même temps, notre société n’arrive à mettre en oeuvre qu’un enseignement que la plupart des jeunes ont avant tout l’impression de « subir »…

Du défaitisme à l’espoir

Pourtant, malgré ces obligations, classiquement, un certain défaitisme accompagne tout discours sur l’école: l’école va mal, elle ne remplit pas sa/ses fonctions… Et très vite commence la recherche d’hypothétiques coupables: les jeunes eux-mêmes? les enseignants? les parents? les « politiques »?

Dès lors, c’est peu dire que l’option retenue dans la déclaration de politique communautaire de 2014, à savoir se lancer dans une réflexion sur l’école de demain au-delà d’une simple législature (1), a suscité beaucoup d’espoirs. Mais, aujourd’hui, ceux-ci devront être rapidement rencontrés car ce qui ne se fera pas en 2017 risque bien d’être oublié d’ici à la fin de la législature (eh oui, des élections tant en 2018 qu’en 2019, cela paralyse…).

Au moment où sortira ce présent numéro d’Espace de libertés, peut-être y verrons-nous (enfin) un peu plus clair quant aux orientations retenues dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence (2) pour réformer notre enseignement. Tant mieux. Car, après un tel processus qui a mobilisé tant et plus les acteurs de l’école, tout échec risque d’avoir pour effet immédiat d’enterrer toute velléité de réforme pour un bon bout de temps…

De quelle école rêvons-nous?

Pourtant, aujourd’hui, notre école a une place formidable à conquérir. Entre les excès d’une mondialisation débridée et amorale – qui engendrent misère et injustices – et un retour en force des dérives religieuses et sectaires menaçant les libertés et la démocratie, l’école doit offrir autre chose. Elle peut et doit être un lieu d’invitations multiples ainsi que le rappelle fréquemment le président du CAL Henri Bartholomeeusen.

Aujourd’hui, notre école a une place formidable à conquérir.

Se pose alors la question de savoir de quelle école nous rêvons? Une école où les enfants, comme un train dans une gare, sont « à l’heure » ou « en retard » (3)? Une école dont la mission serait de fournir de la main-d’oeuvre aux entreprises? Ou une école dont la mission serait avant tout de faire de nos jeunes des adultes émancipés disposant d’outils de réflexion et dotés d’esprit critique?

Une vision laïque qui repose sur le concret

Pour le mouvement laïque, ce choix est vite fait et notre volonté demeure inébranlable: former des citoyens et des citoyennes capables de construire cette société plus juste et plus solidaire à laquelle nous aspirons. Si le choix est simple, il nous impose aussi d’être à la hauteur de nos ambitions et de tracer le chemin pour, non seulement imaginer les utopies, mais aussi les rendre réelles car « il faut toujours connaître les limites du possible. Pas pour s’arrêter, mais pour tenter l’impossible dans les meilleures conditions » (4).

Le Pacte pour un enseignement d’excellence sera-t-il ce levier que nous attendons? Maintenant qu’il s’agit de sortir d’une simple logique d’établissement de constats pour adopter des propositions concrètes et les prioriser, les doutes surgissent et les couteaux s’aiguisent. On pouvait s’y attendre.

Ceux qui, encore aujourd’hui, profitent dans l’architecture issue du Pacte scolaire de rentes de situation n’ont évidemment nulle envie de voir les choses évoluer sauf à monnayer leur accord contre espèces sonnantes et trébuchantes. De surcroît, vu l’attitude des deux ministres successives de l’Enseignement qui, à l’unisson, ont énormément investi dans ce pacte en y renvoyant quasiment l’entièreté de ce qui était prévu dans la Déclaration de politique communautaire. Tout échec du pacte risque aussi de faire sombrer en même temps les réformes scolaires prévues dans cet accord gouvernemental.

Bon nombre de celles-ci rejoignent d’ailleurs nos revendications: tendre vers la suppression du redoublement, organiser l’orientation des élèves la plus tardive possible, amélioration et renforcement de la formation initiale des enseignants…

La fusion des réseaux, toujours un tabou

Bref, en tout état de cause, pour le mouvement laïque (5), si nous saluons l’initiative de ce pacte, demeure à l’analyse du processus un énorme regret. Alors que celui-ci était initialement annoncé comme « sans tabous », celui d’une éventuelle fusion des réseaux, utilement et courageusement revendiquée le 27 septembre dernier par le président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, n’a jamais pu être levé. Sans doute que la composition politique de notre Exécutif de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne le permettait pas… Soit, il s’agira alors de se montrer particulièrement vigilant sur le sort de la gouvernance future de notre système éducatif telle qu’esquissée dans le groupe IV.1 du pacte. Là gît sans doute un des enjeux les plus importants (mais le moins relayé médiatiquement) des travaux du pacte.

Enfin, au-delà de cette question institutionnelle, la solidarité commande aussi de continuer à nous battre pour mettre fin à l’autre dualité, sociale, qui enferme trop de jeunes dans les scénarios de relégations successives. Comme le souligne fréquemment le Délégué général aux droits de l’enfant, il n’y a pas un seul droit de l’enfant qui résiste à l’épreuve de la pauvreté, ce qui nous impose de revendiquer, par étapes, une pleine et entière gratuité de l’école obligatoire.

Tout en évitant le piège de faire jouer à l’école de plus en plus de rôles, gardons à l’esprit que, « sur le papier, l’enseignement est comme l’eau et l’air, indispensable » (6).

 


(1« Afin d’identifier les moyens d’atteindre les objectifs d’amélioration des performances de notre système éducatif et de réduction des inégalités qui impactent la réussite, le gouvernement proposera un “Pacte pour un enseignement d’excellence” qui portera sur les dix prochaines années. » (Déclaration de politique communautaire)

(2) Que l’on aurait préféré intituler Pacte pour un enseignement « solidaire »…

(3) Terminologie reprise dans le très officiel « indicateurs de l’enseignement » de la Fédération Wallonie-Bruxelles…

(4) Romain Gary.

(5) Qui a pu compter dans les travaux du pacte sur l’investissement sans failles de la FAPEO.

(6) Khaled Al Khamissi.