Espace de libertés – Novembre 2016

Arts
Avec son immersion dans les engrenages poussant des ados à la radicalisation islamique, « Le ciel attendra » montre sans juger, parle des illusions cultivées ou perdues. Et, surtout, de la douleur des familles. Un film passionnant et passionné!

Le sujet est délicat. Et il faut autant d’intelligence que de finesse pour l’embrasser avec justesse. Heureusement, la cinéaste Marie-Castille Mention-Schaar n’en manque pas. « Personne n’est épargné par la radicalisation possible de ses enfants, explique-t-elle. En tentant de comprendre qui pouvait être frappé par l’embrigadement élaboré par Daech, des chercheurs se sont en effet aperçus qu’aucun “profil type” ne pouvait être créé. »

Et son brillant long-métrage, Le ciel attendra, appuie cette découverte en mettant en scène deux jeunes filles sans problèmes, victimes de l’embrigadement conçu par l’autoproclamé « État islamique », dans une histoire aussi simple que potentiellement terrifiante. Sonia, 17 ans, a failli commettre l’irréparable pour « garantir à sa famille une place au paradis ». Mélanie, 16 ans, vit avec sa mère, aime l’école et zoner avec ses copines, joue du violoncelle et veut changer le monde. Elle tombe amoureuse d’un « prince » à travers le web…

Prise de conscience!

« J’ai tout de suite senti l’utilité du film, tout son aspect pédagogique, cette volonté de comprendre », embraye Sandrine Bonnaire, qui y tient le rôle de l’une des mères en plein désarroi. « Marie-Castille, par ce film, essaie aussi de comprendre ce qu’est le processus d’embrigadement. Moi, je n’y connaissais rien, j’avais plein d’a priori. Je me suis pris une claque! Ça arrive à une quantité de profils différents. J’ai vécu cette rage de comprendre comment ces ados visiblement sans problème arrivaient à basculer dans quelque chose d’aussi extrême. »

Grâce à cette prise de conscience collective, chacune des actrices ayant participé au film a ouvert les yeux sur ce problème sociétal. « Je ne connaissais rien de tout ça », avoue notamment Noémie Merlant, l’interprète de la jeune Sonia. De son côté, Clotilde Courau, qui campe l’autre mère, aux côtés de Miss Bonnaire, s’est « mise à lire beaucoup de choses, des témoignages, les livres de Dounia Bouzar, de la philosophie, de la politique… Une vraie prise de conscience! Ce film m’a, moi aussi, ouverte à une réalité terrifiante! », dit-elle.

En découvrant le processus d’embrigadement, Sandrine Bonnaire avoue même carrément qu’elle « aurait pu être embrigadée aussi, à un moment de ma vie. Parce que je me souviens des émotions que je vivais, des rêves, des révoltes que je portais lorsque j’étais adolescente. Et avec la force du discours, des moyens techniques dont Daech dispose aujourd’hui, j’aurais pu facilement adhérer à son discours. C’est un processus très vicieux et très sournois. »

« Chaque jeune est une victime potentielle! »

Elle continue: « J’ai accepté de me lancer dans le projet, car d’emblée, à la lecture, on pouvait voir que le film mettrait l’accent sur un élément fondamental à mes yeux: il contribue à la dissipation de tous les amalgames actuels entre la religion musulmane et le fanatisme islamique. Enfant, j’ai été élevée en grande partie par une famille algérienne, musulmane, qui habitait en face de chez nous. J’étais chez eux, ils étaient chez nous, on dormait les uns chez les autres, et dans cette famille très pratiquante, qui priait cinq fois par jour, on faisait de très grandes fêtes. Ils étaient croyants, respectueux et ouverts envers les autres. Je suis restée en lien avec eux, et ceux sont eux qui m’ont appris tout ce que je sais de l’islam. Il était très clair que le film montrerait aussi cela: que la religion musulmane n’a rien à voir avec Daech. Autre mythe qu’il brise: les apprentis terroristes ne sont pas uniquement recrutés dans des milieux défavorisés. Chaque jeune est une victime potentielle! »

À la fin, il en sort un film nécessaire, à montrer au plus grand nombre. Non seulement pour son aspect pédagogique mais aussi pour la qualité de son interprétation et l’intérêt de son scénario. « Ce long-métrage réussit effectivement à captiver le spectateur tout en faisant passer des messages, mais sans être scolaire, conclut l’actrice. Il illustre ma manière de concevoir le cinéma et de choisir mes projets: divertir, mais en même temps dire des choses. » En agitant aussi bien les tripes que les neurones du spectateur! Pari gagné avec ce Ciel attendra dont l’urgence n’attend pas.