La droite chrétienne a fait et défait plus d’un président américain. Elle connaît toutefois une évolution qui rend moins certain son vote en faveur du candidat républicain Donald Trump. Quoique…
Ses adversaires l’accusent de ne pas payer ses impôts et ses fournisseurs de ne pas régler ses factures. Il est brutal, grossier, connu pour ses moeurs dissolues et misogyne. Les républicains eux-mêmes craignent de ne pas survivre en tant que parti à la victoire du très populiste Donald Trump. Ce portrait peu flatteur véhiculé par les analystes et les médias n’empêche pas le milliardaire américain d’emporter l’assentiment de près d’un électeur américain sur deux, du moins si l’on en croit les sondages. Question rituelle à quelques jours de l’élection présidentielle: à quels saints les évangéliques vont-ils se vouer?
On se rappelle que la mobilisation des évangéliques fut par le passé favorable aux républicains, et plus particulièrement à Ronald Reagan et à George « W » Bush, chacun ayant pris soin par la suite de renvoyer l’ascenseur en portant haut les « valeurs chrétiennes ». On sait aussi qu’en faisant tantôt un pas de côté tantôt une volte-face, une partie de cet électorat contribua au succès de Barack Obama en 2008. En démissionnant deux ans plus tôt de son poste de conseiller spécial pour la faith-based initiative, David Kuo avait jeté le trouble. Il dénonçait le peu de considération qu’avait l’administration Bush pour les pauvres ainsi que son instrumentalisation du soutien des chrétiens.
Un discours implicitement religieux
Pour toutes ces raisons, s’allier les chrétiens purs et durs semble tenir de la gageure pour le peu vertueux Donald Trump. Et pourtant, rien ne serait perdu, bien au contraire. En mars dernier, le politologue Denis Lacorne estimait parmi d’autres que le milliardaire avait déjà réussi à convaincre 30% des évangéliques, notamment en Caroline du Sud. « Même si le message de Trump n’est pas ouvertement religieux, expliquait Lacorne, il l’est implicitement et cela plaît aux évangéliques. C’est un homme fort, dur, qui est islamophobe. Implicitement, il dit qu’il défend la chrétienté contre les ennemis extérieurs. » Ces évangéliques-là
seraient donc prêts à voter pour un candidat qui en est à sa troisième femme. Et pour cause: leur taux de divorce est plus élevé que la moyenne américaine, du fait qu’ils se marient très jeunes…
S’allier les chrétiens purs et durs semble tenir de la gageure pour le peu vertueux Donald Trump.
En août, le mensuel américain Charisma a ainsi appelé à voter pour Donald Trump. Steve Strange, le fondateur du mensuel des « évangéliques charismatiques », estimait alors que le candidat républicain a été « appelé par Dieu à une période critique de l’histoire ». A contrario, écrivait-il, « il faut s’opposer coûte que coûte au vote pour Hillary Clinton et à la plate-forme gauchiste qu’elle soutient ». Un bémol: Charisma ne s’adresse qu’à 500.000 lecteurs dans un pays qui compte 321 millions d’habitants.
La droite chrétienne en perte de vitesse
Cette précision pour rappeler que l’électorat évangélique ne constitue en rien un monolithe, qu’il est traversé de courants dont l’influence est fatalement variable. Une influence que d’aucuns jugent à la baisse. Mathieu Sanders, un pasteur baptiste franco-américain officiant à Paris, estimait ainsi dans les colonnes du Figaro qu’ « on assiste à une perte de terrain de l’influence politique de la droite religieuse. […] L’illusion de la “majorité morale” chrétienne aux États-Unis n’est plus permise. Le mariage gay autorisé par la Cour suprême a été le révélateur pour les chrétiens qu’ils sont aujourd’hui en porte à faux avec la culture dominante ». Car les États-Unis n’échappent pas à une lente, mais progressive sécularisation: la génération Y représente près de 40% des « non-affiliés » américains.
Mokhtar Ben Barka a consacré un ouvrage à cette mutation. Pour ce chercheur de l’Université de Valenciennes, la « droite chrétienne » américaine n’a pas pour autant dit son dernier mot. Pour comprendre les dynamiques politiques qui régissent la conduite de l’élection présidentielle, la lecture de l’activisme des évangéliques américains reste importante. Ben Barka s’est donc attaché à étudier la mouvance « libérale » qui, depuis le début des années 2000, fait entendre sa voix outre-Atlantique au sein de la communauté protestante.
Cette droite chrétienne que l’on imagine rivée à ses valeurs conservatrices, est aussi traversée par un courant progressiste.
Chez les pasteurs, la justice sociale a la cote
Cette droite chrétienne que l’on imagine rivée à ses valeurs conservatrices, cul serré et volontiers moralisatrice, gardienne du temple dans un pays dont la devise est « In God we trust », est aussi traversée par un courant progressiste. On assiste depuis une dizaine d’années à l’émergence d’une nouvelle génération de pasteurs plus œcuméniques et politiquement plus à gauche, et d’autre part au renversement de l’ordre des priorités traditionnelles des évangéliques. Ceux-ci sont désormais davantage intéressés par une politique plus axée sur les enjeux de justice sociale (pauvreté, injustice sociale, réchauffement climatique) que par les questions d’éthique. C’est pourquoi en 2008, les chefs de file de la gauche évangélique ainsi que bon nombre de jeunes évangéliques conservateurs ont apporté leur soutien au candidat démocrate Barack Obama, peut-on lire chez Mokhtar Ben Barka.
Ces évangéliques-là ne devraient en bonne logique pas être tentés par l’élection d’un homme qui, bien que protestant presbytérien, est surtout – selon ses adversaires – cupide, menteur et cavaleur. Mais iront-ils pour autant renforcer les rangs d’Hillary Clinton, perçue comme la représentante de ce système qu’une partie de l’Amérique profonde identifie aux salons de Washington et haït? Rien n’est moins sûr.
Opportunisme électoral à la Trump
D’ici là, Donald Trump veut croire dans sa chance. Dans un enregistrement mis en ligne, il parle de son évolution spirituelle au cours de la campagne: « J’ai toujours été spirituel mais là, j’ai appris à apprécier les évangéliques car ils me soutiennent. » Voilà qui est clair…
Jusqu’en mai, une majorité des leaders évangéliques émettaient l’intention de voter contre Donald Trump, écrivait cet été le New York Times, au motif qu’il a longtemps supporté le Planned Parenthood – l’un des principaux regroupements de planning familial du pays. Aujourd’hui, selon le quotidien, 80% des Blancs évangéliques supportent massivement M. Trump. « Sont-ils dupes ou hypocrites? », s’interroge le New York Times.
Tous, en tout cas, ne sont pas dupes. « Bouchez-vous le nez et allez voter », mais sans jamais croire (« zero faith« ) dans les partis politiques, a ainsi recommandé à ses fidèles le très renommé pasteur Franklin Graham.