À la rentrée 2017, deux nouvelles écoles socialement mixtes ouvriront sur le territoire de Molenbeek-Saint-Jean. Elles porteront haut les couleurs de la pédagogie active. C’est un groupe de citoyens qui a imaginé ce projet. Deux communes, la Fédération Wallonie-Bruxelles et l’ULB s’y sont associées. Tous poursuivent un même idéal: générer de la mixité sociale.
L’école belge francophone est mal en point. Ce n’est pas un scoop. Et c’est particulièrement le cas à Bruxelles, où la reproduction des inégalités, le boom démographique et le manque de mixité sociale créent un cocktail détonnant. Des initiatives bourgeonnent çà et là, afin de tenter d’infléchir ces tendances. C’est le cas de deux écoles qui devraient ouvrir leurs portes sur le territoire de la commune de Molenbeek-Saint-Jean. L’une verra le jour rue Dubrucq, près du métro Belgica. L’autre, chaussée de Gand, à moins de 100 mètres du territoire de Berchem-Sainte-Agathe. Au total, elles devraient accueillir, à terme, environ 1 200 élèves.
Une idée un peu folle
Ces deux écoles ont été pensées par une dizaine de personnes, réunies en une association: L’École ensemble. On y trouve des enseignants, de simples citoyens engagés et des parents d’élèves.
Julie Moens est l’instigatrice de cette idée un peu folle. Elle est professeure de français depuis 15 ans à l’Athénée Léon Lepage. Elle dresse un diagnostic sévère, mais lucide, sur l’enseignement dans la capitale: « Si l’enseignement est tellement inégalitaire, c’est dû au manque de mixité sociale et au quasi-marché scolaire qui fait que l’on trouve des écoles avec des élèves blanc-bleu-belges d’un côté et, de l’autre, des gamins qui viennent du même quartier, de la même communauté. » Quant au fameux décret « Inscription », il n’a changé cet état de fait qu’à la marge.
L’une des idées-clés de l’ASBL L’École ensemble, et que résume Julie Moens, est de « montrer que la mixité est un facteur de réussite ». Pour dire cela, elle s’appuie sur son projet pédagogique axé sur la pédagogie active – pédagogie centrée sur le projet, l’interdisciplinarité, l’expression des élèves, la démocratie interne. L’idée est de proposer ce type de pédagogie à des élèves de différentes catégories sociales et, ajoute encore Julie, « plus seulement à Uccle, Auderghem ou dans l’est de Bruxelles ». C’est même l’attrait que génère cette pédagogie qui devrait permettre, selon les fondateurs de ces écoles, d’attirer des publics divers et réellement motivés par le projet.
Trouver un bâtiment, trouver des partenaires
Vouloir créer une école est une chose. Le faire réellement en est une autre. « Il y avait beaucoup de barrières à franchir », se souvient Julie Moens. La première d’entre elles: trouver un bâtiment. Pour cela, les membres de L’École ensemble se sont tournés vers des communes, au sein desquelles on pouvait trouver « des quartiers qui présentaient de la mixité sociale ».
Un premier contact encourageant a lieu avec Berchem-Sainte-Agathe. Il faut dire que la commune n’a aucun établissement d’enseignement secondaire sur son territoire. Y proposer une école, c’est répondre à un besoin criant. Pierre Tempelhof (MR), l’échevin de l’enseignement, a été emballé immédiatement. « J’étais enthousiasmé par la portée du projet pédagogique, basé sur la pédagogie active, qui n’existe pas de ce côté-ci de Bruxelles », précise-t-il.
Sauf que Berchem-Sainte-Agathe ne dispose sur son territoire d’aucun bâtiment adapté. Mais, dans l’intervalle, les contacts avec les édiles de Molenbeek s’avèrent fructueux. La commune est également séduite par le projet et un bâtiment approprié, rue Dubrucq, sur le site de l’ancienne entreprise Tadeka, est disponible. La Fédération Wallonie-Bruxelles mettra la main au portefeuille pour l’achat de la bâtisse. Puis, un second lieu situé à deux pas des limites entre Molenbeek et Berchem-Saint-Agathe est déniché dans la foulée. Du jour au lendemain, le projet de L’École ensemble prend donc une autre dimension et l’ASBL se lance avec ses partenaires dans la création simultanée de deux écoles.
Une alliance originale
C’est dans l’alliance d’acteurs publics et privés que se trouve l’autre innovation du projet imaginé par L’École ensemble. Pour gérer ces deux écoles, les différents partenaires décident d’inventer un nouveau « pouvoir organisateur » (PO en jargon). Ce PO sera composé des deux communes, Molenbeek-Saint-Jean et Berchem-Sainte-Agathe, mais aussi de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de l’association L’École ensemble et de l’Université libre de Bruxelles, autre partenaire « privé ». C’est la toute première fois que l’ULB s’implique de si près dans l’organisation d’une école. Jean-Michel De Waele, vice-recteur de l’ULB, en charge des affaires étudiantes et sociales, se montre d’ailleurs très enthousiaste: « Dans ce projet, tout est nouveau. Nous avons été sollicités et avons accepté car cela correspond à la volonté du nouveau recteur d’ancrer davantage l’université dans la cité, dans sa région, dans sa communauté. Une façon d’être un acteur important est de multiplier les relations avec les écoles. » L’ULB apportera à ces deux écoles son expertise et son regard dans le domaine pédagogique. « Ce sera un enrichissement mutuel. Pour nous, l’école est un terrain de recherche formidable », souligne encore le vice-recteur.
L’alliage entre acteurs privés et publics a rapidement pris. Restait une étape complexe: adhérer à un réseau d’enseignement. Le tropisme naturel des membres de l’association L’École ensemble poussait ses membres à adhérer à la Fédération des établissements libres indépendants (FELSI). Un réseau dans lequel on trouve la plupart des établissements à pédagogie dite alternative dans un cadre non confessionnel. « Mais la FELSI n’est pas complètement subventionnée, précise Julie Moens. Beaucoup de leurs écoles vont chercher de l’argent ailleurs. Vu le public que l’on vise, il était hors de question de demander de l’argent aux parents. Il faut une école réellement gratuite. »
Ce sera donc le réseau CPEONS, le réseau en charge des écoles publiques, communales ou provinciales. « C’est notre défi, résume Roberto Galluccio, administrateur délégué du CPEONS, réunir des éléments qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Dans cette structure aux différents partenaires, les pouvoirs publics dominent. Il était logique qu’ils adhèrent au CPEONS. La composition originale du pouvoir organisateur devrait offrir des garanties en termes de mixité. »
La difficile quête de la mixité
Même si elle est recherchée ardemment, rien ne garantit que la mixité sera atteinte par la seule volonté des dirigeants de ces deux nouvelles écoles. « Nous savons que c’est compliqué, reconnaît Roberto Galluccio, surtout quand on voit que les efforts fournis par certaines écoles bruxelloises pour attirer des publics différents ne sont pas toujours payés en retour. Il y a toujours un moment où les questions d’image viennent brouiller le regard que les parents portent sur les écoles. Très souvent, un public chasse l’autre. » Un point de vue que partage Frédérique Mawet, secrétaire générale du mouvement Changements pour l’égalité: « Pour garantir la mixité, il faut que les pouvoirs organisateurs soient très volontaristes et verrouillent les inscriptions. Sinon, les publics se déséquilibrent automatiquement. Lorsqu’une école propose une pédagogie innovante, elle est investie par les parents qui maîtrisent l’information, la recoupent, se renseignent. Ceux qui cherchent la qualité. C’est un des effets de la liberté d’inscription. » Car une école, aussi innovante soit-elle, ne résoudra pas à elle seule tous les problèmes du système de l’école belge francophone.