Tant aimé des libertaires et des anarchistes de son époque, le poète belge flamand de langue française est décédé tragiquement il y a tout juste 100 ans, le 27 novembre 1916. Voyage en deux haltes sur les traces de l’homme de lettres et du critique d’art à travers deux expositions qui lui rendent actuellement hommage.
Dans notre mémoire d’ancienne élève, option littéraire-langues, pas le moindre souvenir d’un poème d’Émile Verhaeren lu en classe. C’est un fait, Verhaeren n’est pas au programme scolaire. Pire encore, le poète belge qui connut de son vivant une renommée nationale et internationale, traduit en de nombreuses langues, ami d’écrivains et d’artistes tels que Stefan Zweig, Auguste Rodin, André Gide, Maurice Maeterlinck et Paul Signac, est aujourd’hui quasiment inconnu des jeunes générations. Face à cette injustice, les multiples hommages qui lui sont rendus à l’occasion du centenaire de sa mort nous apparaissent comme une bien moindre réparation.
Aux sources du poète
C’est tout naturellement à Saint-Amand, village flamand qui vit naître Émile Verhaeren en 1855, que nous commençons notre périple à la rencontre d’Émile Verhaeren. Rik Hemmerijckx, conservateur du musée de Saint-Amand qui regrette que le poète ait aujourd’hui perdu de son statut au détriment des stars issues du monde de la télé, du cinéma et de la musique, pourrait en parler pendant des heures. L’exposition qu’il nous fait visiter met en avant le rayonnement européen de son œuvre à travers notamment des livres rares et des éditions illustrées. Nous retenons de lui qu’il fréquenta le collège Sainte-Barbe puis l’Université de Louvain avant de s’affranchir de son milieu catholique vers les années 1880. Il conte d’ailleurs son cheminement vers l’athéisme dans un poème tiré des Flammes hautes, L’ancienne foi (1917). Verhaeren s’éloigne aussi d’une carrière d’avocat toute tracée dans le cabinet d’Édmond Picard, juriconsulte, écrivain, franc-maçon et libéral progressiste engagé qui joua pour lui le rôle d’un maître. Poète de l’Escaut, du terroir, mais pas seulement, Verhaeren aux multiples facettes est aussi poète de l’amour et de la révolte. « Avec Les campagnes hallucinées, Les villes tentaculaires et la pièce Les Aubes, sa trilogie sociale lui donne l’image d’un poète et dramaturge engagé. Si Les Aubes ont été jouées à la Maison du peuple et si ses poèmes ont été repris dans des revues libertaires et anarchistes, son engagement est littéraire avant d’être politique », précise Rik Hemmerijckx.
Sur les pas du critique d’arts
De son côté, c’est à celui qui fut éclairé par les lumières de l’Escaut et la lumière des arts que le Musée des Beaux-Arts de Tournai rend hommage en partenariat avec les Archives & Musée de la Littérature et de la Bibliothèque royale de Belgique. L’occasion pour le musée conçu par Victor Horta de mettre en avant les dessins, peintures et sculptures des grands maîtres belges et français des XIX et XXe siècles que sont Manet, Monet, Seurat, Rembrandt, Bosch, Khnopff, Meunier, etc. qui furent les contemporains de Verhaeren et avec lesquels il a entretenu une abondante correspondance. Ainsi, dans la galerie des « Amis belges », amitié rime avec réciprocité puisque l’on peut y admirer un portrait de Verhaeren par James Ensor aux côtés du livre que Verhaeren consacra au peintre ostendais en 1908.L’expo tournaisienne nous fait également entrer dans la vie intime de Verhaeren avec des lettres à sa femme dans lesquelles il raconte sa passion pour la peinture, ainsi que du mobilier, des sculptures, des tableaux et des objets qui lui ont appartenu. Et ont nourri cet observateur d’un siècle d’une richesse artistique rare et « d’une fin de siècle tourmentée » qui « livra ses états d’âmes et des doutes dans ses poèmes et ses goûts artistiques dans ses critiques d’art ». Verhaeren mourut dans un tragique accident de train en gare de Rouen avant de voir finie la grande guerre qui le marqua à jamais.