Espace de libertés – Novembre 2016

L’obligation scolaire à l’épreuve des valeurs laïques


Dossier
Obligation scolaire à 3 ans, manque de places en maternelles, classes surpeuplées… Le débat sur l’abaissement de l’obligation scolaire et le déficit de qualité en maternelle revient régulièrement tant au niveau communautaire qu’au niveau fédéral. Cette thématique est également au cœur des réflexions du Pacte pour un enseignement d’excellence. Tôt ou tard, des propositions politiques seront sur la table et il est intéressant, dès aujourd’hui, de poser les termes d’un débat qui, une fois encore, met en tension liberté et égalité.

Traiter de l’abaissement de l’obligation scolaire n’est pas une mince affaire. L’image idyllique d’enfants qui se partagent librement entre les maisons du village et les mamans (et de rares papas) disponibles, et qui découvrent la vie à leur rythme et au gré de leurs envies (un livre, un dessin, une chanson, la feuille d’un arbre…) contraste violemment avec la réalité qu’expérimentent ceux qui se retrouvent confinés à parfois plus de 40 dans un local miteux. Entre ces deux extrêmes, le choix semble facile: il faudrait maintenir la liberté de scolariser ou non les enfants, en particulier les tout-petits… Mais, bien entendu, la question est éminemment plus complexe.

Plus on scolarise tôt les enfants, moins les inégalités scolaires sont fortes.

Des réalités contrastées

L’abaissement de l’âge de la scolarité se pose avant en tout en termes d’égalité des chances. Toutes les études concordent sur ce point: plus on scolarise tôt les enfants, moins les inégalités scolaires sont fortes. Parce que l’école offre aux enfants non seulement la langue du pays de résidence mais aussi le langage scolaire avec ses codes.

L’obligation scolaire à six ans n’empêche pas des taux d’inscription à l’école maternelle très élevés: 45 % des enfants de 2 ans, 95 % des enfants de 4 ans et 97 % des enfants de 5 ans. Mais ces taux ne reflètent que très partiellement la réalité. Comme la scolarité n’est pas obligatoire, les absences ne sont pas sanctionnées. Certains enfants fréquentent l’école tout à fait régulièrement alors que d’autres y vont sporadiquement. De plus, la maternelle est moins financée que les autres niveaux d’enseignement et les normes d’encadrement y sont faibles (1). Le cadre offert est également disparate: entre des enfants évoluant dans des locaux spacieux, aérés, avec jardin et plaine de jeux, et des enfants confinés dans des espaces exigus, l’inégalité est insupportable.

Dans un autre registre, une étude de l’ULB (2) a démontré que la ségrégation sociale se faisait dès la maternelle, et que la fréquentation de telle ou telle établissement avait un impact sur la carrière scolaire de l’enfant. Enfin, last but not least, la pression démographique et la pénurie de places jouent en défaveur des enfants les plus précarisés (3). Car ce sont les publics les plus fragilisés qui auraient le plus de peine à trouver une place dès l’école maternelle, et qui pourraient y renoncer en raison de l’absence d’obligation scolaire.

Rendre l’école maternelle obligatoire?

Dans ce contexte, de plus en plus d’acteurs demandent de rendre l’école maternelle obligatoire. Pour eux, cela permettra à tous les enfants de fréquenter l’école régulièrement et on incitera les pouvoirs publics à y mettre plus de moyens. Mais la mise en pratique de cette idée n’est pas sans obstacles. L’âge de l’obligation scolaire est une compétence fédérale. Sans modifier la Constitution (article 127), il n’est donc pas possible de l’abaisser. Si la question surgit régulièrement au niveau fédéral, notamment lors des débats au Sénat sur la pauvreté infantile (4), les chances de voir cette réforme aboutir restent faibles. Entre autres parce que cela signifierait une augmentation des transferts du fédéral vers la Fédération Wallonie-Bruxelles. Or, la part de financement de l’enseignement francophone se calcule actuellement sur base de la population scolaire de 6 à 17 ans. Un abaissement de l’âge de l’obligation scolaire amènerait donc à revoir les montants en faveur de la FWB où le taux de natalité est plus élevé qu’en Flandre.

La Communauté flamande, consciente des enjeux d’une scolarisation précoce, a trouvé une astuce pour inciter les parents à inscrire leurs enfants dès la 3e maternelle sans modifier la Constitution. Un décret y conditionne en effet l’inscription en 1re primaire à une fréquentation minimale de l’enseignement maternel néerlandais ou au passage d’un test linguistique. Côté francophone, un projet de décret similaire a été déposé en 2016. Mais les parlementaires ont jusqu’ici fait blocage, arguant que cette condition d’inscription risquait encore de renforcer les inégalités scolaires.

Vers un renforcement de l’investissement dans le maternel

Face à ces enjeux, les débats s’orientent aujourd’hui vers un renforcement de l’investissement dans l’enseignement maternel. Ainsi, les acteurs du Pacte pour un enseignement d’excellence plaident unanimement pour un renforcement de la qualité de l’accueil et de l’enseignement à ce niveau, et demandent un abaissement progressif de l’âge de l’obligation scolaire.

En parallèle, le Parlement de la FWB a voté en février dernier un décret instaurant des « socles de compétences initiales », soit un référentiel précisant les aptitudes à atteindre en 3e maternelle. Projet qui a d’ailleurs été critiqué par l’opposition (ÉCOLO), qui y voyait le danger d’une « primarisation » de la maternelle. Enfin, un groupe de travail au Parlement de la FWB travaille actuellement précisément sur l’âge de l’obligation et la qualité des maternelles.

Tout parent bénéficiera toujours de la possibilité de ne pas scolariser son enfant, que ce soit en maternelle, en primaire ou dans le secondaire. Car seule l’instruction est obligatoire (5), pas la scolarisation. Le véritable enjeu de la question est de garantir une place de qualité pour tous les élèves dès la maternelle. C’est une question d’égalité. « Une école pour l’élève qui n’a que l’école pour devenir tout ce qu’il peut être » (6), disait en 2014 le président du CAL, Henri Bartholomeeusen. Une phrase à précieusement garder en tête lorsqu’on aborde ce délicat dossier.

 


(1) McKinsey & Co, « Contribuer au diagnostic du système scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles », 10 juin 2015, p. 22.

(2) Pierre Marissal, « La ségrégation entre écoles maternelles », dans Éducation & Formation – e-302, décembre 2014, pp. 191-203.

(3) Perrine Humblet « Croissance démographique bruxelloise et inégalité d’accès à l’école maternelle », dans Brussels Studies, n°51, 19 septembre 2011.

(4) Suite à la remise du rapport sur la pauvreté approuvé par le Sénat le 1er février 2016.

(5) En effet: l’obligation scolaire implique l’obligation d’instruire son enfant, que ce soit par l’école ou par un enseignement à domicile qui suive les programmes officiels.

(6) Conclusion du colloque consacré à l’école par le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège, mai 2014.