Espace de libertés – Novembre 2016

CPC: premières nouvelles du front


Dossier
Les premiers jours du cours de philosophie et citoyenneté vus par ceux qui y étaient.

Alors, cette fois ça y est: le fameux cours de philosophie et citoyenneté, CPC pour les intimes, a réellement commencé. On avait prédit le chaos, l’apocalypse, la fin du monde et il y a eu… une belle pagaille. On a vu des enfants déboussolés, des profs attristés, d’autres en colère, des parents perplexes et des chefs d’établissement qui s’arrachaient les cheveux. Mais on a vu aussi des écoles où les choses se sont bien passées, où les profs étaient contents, les enfants souriants et les directeurs sereins. Comme souvent, la réalité a donc été vécue très différemment d’un lieu à l’autre et il faudra du temps pour apprécier à sa juste mesure si le pari du CPC est sur la voie de la réussite ou pas. Mais dans l’immédiat, Espace de libertés a voulu donner la parole à des enseignants qui, très concrètement, sur le terrain, ont vécu cette rentrée. Sans mot d’ordre, sans tabou, sans parti pris. « Comment s’est passée votre rentrée d’EPC? » Un devoir de 15 lignes. C’est ce que nous leur avons demandé. Certains nous ont remis un texte, d’autres nous ont confié leurs impressions verbalement mais tous ou presque (voir plus bas) ont donc connu le « baptême du feu » en ce début octobre 2016. Retours d’expérience.

Joël, enseignant de religion catholique et de « CPC dispense » à Bruxelles

© Olivier WiamePour Joël, cette première semaine a été éprouvante. Premier problème: il ne peut pas continuer à enseigner la religion dans la même implantation que celle où il donne CPC. Il faut en effet qu’il y ait une coupure physique entre ces deux fonctions. Les enfants ne peuvent pas le voir un jour officier en tant que représentant d’une religion et le lendemain enseigner la philosophie et la citoyenneté comme si de rien n’était. Conséquence: Joël est obligé de changer de lieu de travail pour sauter d’une fonction à l’autre. Heureusement, dans sa commune, ces lieux ne sont pas très éloignés les uns des autres, il ne perd donc pas trop de temps. Mais Joël donne le cours de « CPC dispense ». Pour lui, concrètement, c’est un peu comme si on avait en fait créé un huitième cours de religion/morale. Il faut un prof, un local et, le plus compliqué, trouver un créneau horaire qui clope avec tout le bazar. Autant dire qu’on y arrive difficilement. Alors, Joël doit aller chercher un à un les quelques enfants qui suivent « CPC dispense », les séparer de leurs copains, et les emmener dans un autre classe – heureusement l’école dispose de locaux en suffisance et Joël est content de ne pas devoir rester dans le préau ou dans la cour. Si tout va bien, il lui reste royalement 40 minutes, montre en main, pour leur dispenser les rudiments de la citoyenneté. Heureusement que Joël est philosophe… et que les enfants qui ont pris le « CPC dispense» sont vraiment très peu nombreux.

Lamia, professeure de « CPC obligatoire » dans la région liégeoise

Dès le début, Lamia a été vivement intéressée par le CPC et elle a donc suivi l’indispensable formation à la neutralité qui fait partie des impératifs. Petit problème de conscience: elle devait enlever son voile pour pouvoir accéder à cette nouvelle activité. Après un court moment de réflexion, elle l’a fait. Coup de bol: temporaire prioritaire, Lamia a trouvé très vite dans une commune voisine une école qui avait besoin d’elle. Comme pour Joël, pas question, en effet, de mélanger les torchons et les serviettes: Lamia ne pouvait pas enseigner la religion islamique dans la même commune que celle où, désormais, elle donne le « CPC obligatoire » d’une heure par semaine. Le premier jour, Lamia attirait les regards appuyés de certains parents. Mais à la fin de la première semaine, elle était rayonnante. Pour elle, la rentrée s’est en effet passée comme un charme: vingt-cinq enfants curieux, attentifs, venus d’horizons culturels et philosophiques complètement mélangés et ravis de se retrouver là avec une nouvelle « Madame » avec qui, c’est sûr, ils vont découvrir des choses insoupçonnées. Bingo!

Hafida, enseignante de religion islamique à Bruxelles

« Comme tous mes collègues de cours philosophiques, je l’ai redoutée, cette rentrée… Je savais que mon cours de religion islamique allait être divisé pour faire place à un nouveau venu, le CPC. Je n’ai pas formellement postulé pour prendre en charge cette nouvelle matière, malgré une licence et une agrégation obtenues à l’ULB, ainsi que le suivi de la formation à la neutralité. Je me suis néanmoins penchée sur le programme et sur les conditions d’accès à cet “ambitieux” nouveau cours qui allait permettre à tous les élèves –toutes confessions confondues– de se retrouver pour échanger, parler, développer l’esprit critique, etc. Mais, si la volonté de dialogue est à saluer, la réalité sur le terrain met en évidence un manque criant de mixité culturelle dans les écoles qui ne me semble pas permettre d’atteindre le louable objectif de rencontre de toutes les cultures. Mais comme j’avais les titres et le profil, je me suis dit “pourquoi pas?”. Cependant, quelque chose a bloqué mon éventuelle réorientation professionnelle. Je porte une coiffure différente. J’ai un foulard sur la tête… Et “visiblement”, c’est compliqué. J’avais cru comprendre que ce nouveau cours devait traduire sur le terrain une forme de vivre ensemble et le respect de toutes et de tous. C’est un peu compliqué de vivre ensemble sans moi, me semble-t-il… Malgré ma conviction profonde d’être taillée pour l’emploi, les portes d’accès au CPC me sont restées fermées. Mais le plus incohérent, c’est que, si j’avais été un homme et portais la barbe, ces mêmes portes auraient été tout à coup ouvertes. »

Myriam, professeure de religion protestante en province de Luxembourg

« Lundi 3 octobre: premier cours de philosophie et citoyenneté. Je prends la mesure du changement. Mon plus grand bouleversement se situera au niveau de la gestion des groupes/classes. Dans mon ancienne fonction, j’étais souvent limitée à de très petits groupes de quatre ou cinq enfants et parfois même à un seul. Gérer un grand nombre d’élèves est donc un exercice inhabituel. Faire de la philosophie avec un tel groupe en 50 minutes se révélera donc assez périlleux. Déjà, installer tous les bambins prend une partie de ce temps. C’est particulièrement difficile avec les petits qui s’interrogent sur “ce qu’on va faire.” Ce qui sera le plus pénible sera de jongler avec tous les déplacements puisqu’il me faudra changer de classe ou d’école après chaque heure de cours. Il faut dire que je dessers une dizaine d’établissements répartis sur sept pouvoirs organisateurs différents, distants parfois de plus de 40 km. Il me sera donc impossible de prester un horaire complet. Ce matin, les enfants étaient juste intrigués de voir “une nouvelle Madame” puisqu’on ne peut donner le CPC et le cours de religion dans le même établissement. Ma journée fut épuisante. Je travaille dans l’enseignement spécialisé. Ce sont en général des enfants qui ont peu le sens de l’écoute, pourtant indispensable pour faire de la philosophie. Ce sera intéressant de voir l’évolution avec le temps. Quant au contenu de ces cours, rien de bien neuf pour moi. Ces thèmes étaient déjà abordés et inscrits dans le programme de religion protestante (avec toutefois, un volet supplémentaire: celui du regard de la Bible). En effet, ce programme part toujours du vécu de l’élève et vise une actualisation constante. La différence vient davantage de la façon d’aborder ces thèmes avec un plus grand nombre d’élèves issus de milieux très divers. »

Nicolas, enseignant de morale et de « CPC dispense » dans la région du Centre

« J’ai pu commencer le cours de philosophie et citoyenneté et avec une classe de première et deuxième année pendant 2 x 50 minutes, ce qui veut dire que ce sera le cas un lundi sur deux. Cette organisation me paraît être la plus simple pour tout le monde. Pour les enfants il faudra veiller à varier les sujets mais nous avons pu déjà faire connaissance dans de bonnes conditions, grâce à un local approprié. Une bonne première impression avec, toutefois, un point négatif: je donnerai encore morale à certains élèves que j’ai en “CPC obligatoire”. Cette dérogation aux règles est due au fait que l’établissement où je travaille est une petite école rurale. Mais cela ne me paraît pas facile à gérer, ni pour moi ni pour les élèves. J’espère donc à l’avenir pouvoir donner uniquement le CPC pour lequel j’ai beaucoup d’intérêt. Dans le courant de la même semaine, je l’ai également donné à des élèves dispensés du cours de religion ou de morale. Le fait de les avoir en très petit groupe est agréable mais, dans le futur, cela ne permettra pas des discussions aussi variées qu’en “groupe classe”. En outre, le fait que c’est une autre personne qui sera chargée de la première heure commune nécessitera une étroite coordination. »