Espace de libertés – Novembre 2016

Zoos humains, l’invention du sauvage


Arts
Tracer une frontière – et une hiérarchie! – entre soi-disant « civilisés » et prétendus « sauvages », tel était le but de ces exhibitions humaines qui ont fasciné 1,4 milliard de visiteurs pendant des siècles. Aujourd’hui, l’expo « Zoos humains. L’invention du sauvage » a pris ses quartiers à Liège dans une tout autre optique.

Si la star du foot français Lilian Thuram va aujourd’hui dans les écoles, ce n’est pas pour parler de sport mais pour sensibiliser les jeunes aux dangers du racisme. D’emblée, il interpelle les enfants: « Voilà je suis entré dans votre classe, je l’ai découverte, alors je peux dire qu’elle est à moi. » Les jeunes de répondre: « Ben non, M’sieur, ça marche pas, on était là avant! » Et Thuram de poursuivre: « Ah! Parce que vous croyez que Christophe Colomb s’est soucié de ça, quand il a découvert l’Amérique? Pourtant il y avait des millions de gens là-bas avant lui. » Comme entrée en matière, c’est efficace. Lilian Thuram continue: « Voici une nouvelle carte du monde à coller sur un mur de votre classe, elle n’est pas à l’envers, on a juste changé la vision des choses, en la retournant, l’Afrique est au centre. C’est une vision pas moins légitime qu’une autre. »

Cela fait quelques années que Thuram promène son mètre nonante dans les écoles de France et avec sa fondation Éducation contre le racisme. Mais cette fois, il est allé plus loin. Il a monté, en association avec le Groupe de recherche ACHAC, une exposition intitulée « Zoos humains, l’invention du sauvage » destinée à faire le tour du monde. Après le Musée du quai Branly à Paris, la Guyane, la Californie, la Côte d’Ivoire, l’Allemagne et la Suisse, elle fait halte à Liège dans le superbe cadre de la Cité Miroir.

Vous avez dit « hommes de couleur »?

Avant même de pouvoir lui poser la première question, Lilian Thuram vous fait l’accolade. Il est comme ça, Lilian, il donne, il enveloppe – et ce n’est pas feint–, il est visiblement content et fier d’être là, à l’inauguration liégeoise d’une expo qu’il porte en lui depuis longtemps. Pour lui, « le racisme c’est avant tout une construction politique, économique et intellectuelle. De génération en génération, on a construit la domination des hommes sur les femmes, des hétéros sur les homosexuels, des hommes de couleur blanche sur les hommes de couleur non blanche. Il y a une expression qui me fait sourire et qui m’horrifie, c’est lorsque l’on parle des “hommes de couleur”. Les hommes de couleur seraient les hommes de couleur non blanche, parce qu’on a dit qu’être homme, c’est être blanc. »

Pour lui, les zoos humains ont marqué le début de la notion de racisme: « Je dis souvent aux enfants que nous sommes le fruit d’une histoire. Vous imaginez aujourd’hui: on vous emmène dans un parc et on vous montre des petits hommes verts dans un village reconstitué derrière des grilles. Si on vous dit que ces petits hommes verts sont sauvages et qu’il faut se méfier d’eux. Le jour où vous les croisez dans la rue, vous aurez peur! C’est ça le racisme. Entrer dans cette exposition permet de faire comprendre les origines des préjugés négatifs sur certaines personnes, quand elles ne sont pas de couleur blanche. […] Nos sociétés doivent comprendre l’idée, pourtant simple, que la couleur de la peau, le genre, la religion ou la sexualité d’une personne ne déterminent en rien son intelligence, la langue qu’elle parle, ses capacités physiques, sa nationalité, ce qu’elle aime ou déteste. Chacun de nous est capable de croire à n’importe quoi, le pire comme le meilleur. »

Cinq siècles d’histoire de l’exhibition

Aux côtés de Lilian Thuram et de sa fondation, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (ACHAC) a travaillé à la conception et la réalisation de « Zoos humains ». ACHAC regroupe des historiens qui s’attachent à analyser les prolongements contemporains de la représentation coloniale. L’historien français Pascal Blanchard, spécialiste de l’histoire coloniale française et de l’immigration, en est l’animateur et il est également commissaire de l’expo « Zoos humains »: « Vous le voyez autour de nous, il y a beaucoup d’images, d’affiches, de photos, d’objets qui montrent l’ampleur que prenaient les zoos humains. Le meilleur moyen de montrer aux gens ce qu’a été la culture, cette immense culture, de l’exhibition du sauvage, c’est de raconter aussi ce qu’était l’environnement de l’époque: cirques, foires, zoos, jardins d’acclimatation, grandes expositions universelles, souvent pour légitimer la colonisation. Ce fut également pour beaucoup la première rencontre avec l’“Autre”, le non civilisé. »