Espace de libertés – Novembre 2016

Un adolescent de 17 ans a choisi l’euthanasie


Libres ensemble
Le 13 février 2014, la Chambre se prononce sur l’extension de l’euthanasie aux mineurs: 86 oui, 44 non et 12 abstentions. La loi sera sanctionnée quelques jours plus tard, le 28 février. Désormais, un mineur doté de la capacité de discernement pourra demander, s’il est atteint d’une affection grave et incurable lui causant des souffrances physiques inapaisables, que son médecin mette fin à sa vie, doucement, entouré de l’amour des siens.

Souvenons-nous aussi des veillées organisées par l’archevêque Léonard et de son appel à la « conscience » des parlementaires. Ce débat fut l’occasion pour tous les opposants à cette liberté, de Belgique et d’ailleurs, de se répandre en descriptions apocalyptiques: une « banalisation du droit de tuer ».

En septembre 2016, soit plus de deux ans après le vote de cette loi, le premier dossier d’euthanasie d’un mineur est transmis à la Commission d’évaluation et de contrôle de la loi relative à l’euthanasie. Il avait 17 ans. Il bénéficiait de soins palliatifs. Par respect pour ses parents et pour l’équipe médicale qui le suivait, et aussi en raison du secret professionnel, je n’en dirais pas plus.

Réactions prévisibles des opposants de la première heure

Et nous avons retrouvé nos opposants à l’euthanasie que ce soit pour des adultes ou des enfants, dont Euthanasie Stop: « La Belgique s’enfonce dans l’horreur », « La Belgique s’enfonce un peu plus dans l’ère obscure qui aura érigé en “progrès” l’abandon de malades, adultes ou mineurs ». Le Vatican, sans surprise, a formulé une condamnation claire et nette: l’euthanasie est un acte contre les religions, la vie est sacrée.

L’Église de Belgique, quant à elle, a tenu des propos plus modérés par la voix de son porte-parole. Tommy Scholtès a en effet rappelé que, pour l’Église, les soins palliatifs restent la seule option. Néanmoins, ne connaissant ni l’enfant, ni ses parents, ni la situation, elle ne s’est pas hasardée à prononcer une condamnation.

Si les journalistes étrangers – pourtant tous originaires de pays qui n’ont pas dépénalisé l’euthanasie ou le suicide assisté – ont fait preuve d’une remarquable écoute lors des interviews, j’ai parfois dû redresser quelques manipulations, émanant du tristement célèbre Institut européen de bioéthique que certains confondent avec l’institution officielle du Comité belge consultatif de bioéthique. La ruse de cette appellation fallacieuse de ce qui n’est en réalité qu’une officine catholique intégriste a été éventée.

Faut-il le rappeler, ce n’est pas l’euthanasie d’un mineur qui est le problème mais bien la maladie qui, à brève échéance, va transformer un jeune enfant en adulte sans, toutefois, lui permettre d’arriver à la majorité. Ce qui est choquant, c’est un enfant condamné à vivre la majeure partie de son temps à l’hôpital. Ce qui est choquant, c’est un enfant qui ne peut pas vivre sa vie d’enfant. Ce qui est choquant, c’est d’entendre sortir de ce corps d’enfant des paroles d’adulte. Ce qui est choquant, c’est de voir mourir un enfant sous les yeux de ses parents et de ses grands-parents.

Avant l’extension aux mineurs

En 2013, bien d’autres questions avaient été soumises au Parlement: simplification de la déclaration anticipée, suppression de sa durée de validité, limite à poser en ce qui concerne le bon usage de la clause de conscience, extension du champ d’application de la déclaration anticipée. En dépit de son caractère délicat, seule la question de l’extension aux mineurs a pu être concrétisée par une loi avant la fin de la législature. Il est vrai que des pédiatres étaient venus témoigner devant le Sénat de l’existence de demandes d’euthanasie émanant d’enfants, et de leur désarroi devant de telles situations. Ces praticiens se trouvaient en effet devant le dilemme de respecter le souhait de l’enfant, et par conséquent de se mettre hors-la-loi, ou d’être obligés de devoir lui répondre que la chose n’était pas possible. Les académies royales de médecine s’étaient également penchées sur cette question et avaient rendu un avis favorable à la prise en compte de demandes d’enfants pour l’euthanasie.

Tous ceux qui étaient en faveur de cette extension n’avaient qu’un seul espoir: voir arriver le moins possible de demandes.

Balises légales et regard humaniste

Tous ceux qui étaient en faveur de cette extension n’avaient qu’un seul espoir: voir arriver le moins possible de demandes. Du reste, le législateur a introduit des balises plus strictes pour l’euthanasie des enfants. Le décès doit être prévisible à brève échéance, seules les situations somatiques sont prises en compte, la capacité de discernement de l’enfant doit être attestée par un pédopsychiatre ou un psychologue, les parents doivent donner leur consentement. Pour ce dernier point, j’aurais certes préféré que l’on retienne l’absence d’opposition des parents en lieu et place de leur accord. En effet, c’est mettre une terrible charge sur leurs épaules que de leur imposer ce consentement alors qu’ils ont déjà dû traverser des moments très difficiles et qu’ils pourraient avoir le sentiment, en signant cet accord, de contribuer à la mort de leur enfant. Ce n’est bien évidemment pas le cas. Très souvent, les enfants peuvent trouver les mots pour que leurs parents acceptent que cet ultime traitement que l’on propose soit le traitement de trop, qu’ils sont fatigués, qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils souhaiteraient s’endormir à jamais.

À ceux qui s’étonnent de ce qu’il n’y a eu qu’une seule déclaration depuis 2014, donnant en quelque sorte l’impression de se plaindre du fait qu’il n’y ait pas plus d’euthanasies d’enfants, je réponds qu’un des premiers bénéfices de cette loi est de permettre la liberté de parole. Aujourd’hui, lorsqu’un pédiatre est confronté à une demande de mettre fin à la vie de son jeune patient, il peut évoquer avec lui et avec ses parents les possibilités de traitement, sans que ses paroles puissent être considérées comme une échappatoire à la question posée par l’enfant: m’aideras-tu lorsque je ne pourrai plus supporter la souffrance? Un enfant de 10 ans, un adolescent de 17 ans, n’est pas immunisé contre les maladies incurables ni contre la souffrance.

Nous vivons dans un pays où il est possible d’évoquer et de travailler pour l’amélioration des soins palliatifs tout comme il est possible d’évoquer et de formuler une demande d’euthanasie. C’est une richesse, comme l’évoquait le journaliste Frédéric Soumois. Continuons à nous battre, pour défendre cette liberté, que le patient ait 80 ans ou qu’il soit encore un enfant.