Espace de libertés – Novembre 2016

Édito

Alors, Roger, toi aussi? Pour être franc, on s’y attendait un peu, les dernières nouvelles n’étaient pas très bonnes. C’est la vie, bien sûr. Mais il y a toujours quelque chose d’étrange avec la disparition de quelqu’un qu’on aime et qu’on admire. On a beau savoir que c’est inéluctable, on a beau s’y attendre, pourquoi ne s’y fait-on pas? Rassure-toi, je ne vais pas déployer ici un panégyrique qui ne dirait pas son nom: d’autres s’en chargeront mieux que moi. Les gazettes des prochains jours seront pleines de tes exploits, on étalera ta vie, on décortiquera tes faits et gestes et on chantera tes louanges sur tous les tons. Tu sais comment ils sont.

Mais sais-tu à quoi je pense, là maintenant, quand j’essaie de discerner tes traits à travers la buée qui se dépose sans cesse sur le verre de mes lunettes? À tes poèmes. Mais oui. Oh, je sais: ça paraîtra futile à certains. Tu as fait tellement de choses, tu t’es engagé dans tellement de combats, tu as associé ton nom à tellement de causes sublimes. Et, en regard, que pèsent donc ces quelques vers?

Tu avais un plaisir malicieux à les donner à lire à tes amis, sans avoir l’air d’y toucher, presque négligemment, curieux et amusé d’avance à l’idée de voir leurs réactions étonnées et, il faut bien le dire, souvent incrédules. Tu n’en as publiés que quelques-uns, presque à la sauvette. Mais ceux qui goûtent la chose ont pourtant très vite compris que derrière l’avocat, le militant et l’homme politique se cachait un homme de lettres délicat et, osons le mot, inspiré.

Aujourd’hui, je me dis que c’est peut-être bien là que se trouvait l’entrée de ta Thébaïde intérieure. Qui en détient la clé aujourd’hui?

Je te salue, sorcier des mots.

Frémissante, cambrant le jet frivole de sa robe
La Comtesse joconde avance d’un sourire
La promesse d’une gorge
Et sa main qui retient tous les vents de la soie
Soulève l’encens des cieux, des bois et des soleils.

Extrait de « La Comtesse Howe » dans Le songe du politique, par Roger Lallemand (Didier Devillez Éditeur, 2000)