Ce qui vient de trouver un début de concrétisation avec l’implémentation du CPC en cette rentrée scolaire 2016 hante les couloirs du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles depuis des temps que les moins de vingt-cinq ans ne peuvent pas connaître.
Dès 1991, Yvan Ylieff (PS), ministre de l’Éducation, demandait au philosophe Jacques Sochjer de présider une commission chargée d’étudier l’introduction d’un « cours de philosophie » dans le secondaire. Depuis, d’innombrables projets se sont succédé, des dizaines de rapports ont été rédigés par des cohortes de spécialistes et plusieurs propositions de décrets déposées en bonne et due forme sur les pupitres des députés. En 1998, André Flahaut (PS) dégainait une « Proposition d’un cours d’apprentissage à la citoyenneté » qui fera un certain bruit.
Des sorties sporadiques et des formes floues
Au début des années 2000, Hervé Hasquin (MR), alors ministre-président de la Communauté française, estima que le rapport des forces au sein du gouvernement était favorable. Il décida alors de pousser les feux du paquebot politique et mit le cap sur le projet de l’introduction d’un cours de philosophie et, nuance importante, d’histoire comparée des religions. Il sera notamment relayé par Richard Miller (MR) et consorts entre 2004 et 2009. Fait remarquable: dans les autres formations de la majorité, le sujet n’était pas mal accueilli non plus. En tout cas, Anne-Marie Corbisier (PSC) dira clairement que son parti y était a priori favorable. Même son de cloche chez Écolo où Marcel Cheron, Paul Galand, Yves Reinkin ou encore Bernadette Wijnants soutenaient l’idée. Quant au PS, il était de toute façon massivement en faveur de cette évolution, même si la proposition que fera en 2008 le ministre de la Jeunesse Marc Tarabella de remplacer les cours de religion par des cours de gymnastique provoquera une certaine perplexité.
À la rentrée scolaire de 2007, un décret visant à « renforcer l’éducation à la citoyenneté » dans les écoles est mis en application. En 2012: trois professeurs de droit constitutionnel sont consultés par la commission de l’éducation du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Leur verdict est unanime et sévère: garder en l’état les cours de religion et morale (R/M) est juridiquement intenable. Il faut absolument faire quelque chose car la menace d’une possible invalidation du système par voie judiciaire plane.
Le « tronc commun », un pavé dans la mare
En 2013, la ministre de l’Enseignement obligatoire Marie-Dominique Simonet (cdH), lance son fameux « tronc commun ». L’idée est d’appliquer à tous les cours de R/M des nomenclatures comprenant trois volets distincts: le questionnement philosophique, le dialogue interconvictionnel et l’éducation à la citoyenneté. Il y a du bon, notamment l’obligation de mettre au point de véritables programmes pour les cours de religion qui, jusque-là, flottaient dans un flou artistique propice à toutes les dérives. Mais de nombreuses interrogations taraudent certains acteurs… N’est-ce pas une manière de creuser les différences entre réseaux officiel et libre confessionnel? Et puis le projet de Simonet met de côté le cours de morale et laisse dans l’ombre beaucoup trop d’inconnues: quels titres devront avoir les profs? Quels seront les rôles respectifs des organes-chefs de culte et de l’inspection? Cependant les mentalités évoluent et, dans l’accord de gouvernement de 2014, le PS et le cdH finissent par trouver un compromis qui prévoit le remplacement d’une heure du cours obligatoire de R/M par une heure commune d’éducation à la citoyenneté.
Une décision judiciaire qui marque un tourant
Mais en mars 2015, ce qui devait arriver arriva: des parents d’élève qui contestaient l’obligation de suivre un des cours dits philosophiques obtiennent gain de cause devant la Cour constitutionnelle. La suite est connue. D’une certaine manière, elle ressortit à l’histoire particulière de la construction de l’État belge et du toujours très délicat équilibre entre le monde catholique et les galaxies laïques libérale et socialiste. De fait, l’évolution que connaît cette question depuis 25 ans n’est pas sans analogies avec certains éléments de la loi organique de l’enseignement primaire de 1879 qui prévoyait déjà de rendre le cours de religion facultatif… Mais ce qui se passe aujourd’hui n’est probablement encore qu’une étape intermédiaire. Il reste beaucoup trop de problèmes concrets, très difficiles à régler tant que l’on restera avec un système à plusieurs vitesses qui plonge beaucoup d’acteurs, enfants compris, dans la perplexité et l’ambiguïté. Néanmoins, malgré tous ses défauts, la machine du CPC est lancée et c’est un moment réellement historique.