La majorité des écoles libres en Belgique sont confessionnelles et catholiques. À côté, quelques électrons libres non confessionnels se sont imposés grâce à un projet pédagogique innovant : Decroly, Montessori, Freinet… Mais depuis 10 ans, une petite structure trace son chemin : l’École des étoiles. Cette école aurait pu devenir l’exemple d’un repli communautaire dans l’air du temps. C’est tout le contraire qui s’est passé malgré une actualité parfois envahissante.
Les porte-manteaux placés au niveau du nombril des adultes sont surmontés des prénoms des enfants : Younes, Zarha, Manon, Anas, Natacha… On pourrait se situer dans n’importe quelle école du nord de Bruxelles. On est à Marchienne-au-Pont, dans une section maternelle et primaire, où les visages mats et souriants encadrés de boucles brunes sont plus nombreux que les « chères petites têtes blondes ».
L’École des étoiles est une école libre non confessionnelle, reconnue et subventionnée par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Chaque parent peut choisir le cours confessionnel ou philosophique qui lui convient ; 80 % des enfants suivent le cours de religion islamique, 15 % le cours de morale laïque et les 5 % restant se partagent entre les cours de religion catholique et protestante. Une répartition qui a une explication historique.
En 2005, des parents issus de l’immigration turque créent l’École de l’avenir qui deviendra plus tard l’École des étoiles.
Accorder à chacun le respect auquel il a droit
En 2005, des parents issus de l’immigration turque créent l’École de l’avenir qui deviendra plus tard l’École des étoiles. Leur souhait est de concevoir un établissement familial, intime, loin des écoles « mastodontes » qui ne manquent pas dans la région. « Le rapport à l’école n’est pas facile quand on est issu de l’immigration », explique Frédéric Billiard, le directeur actuel de l’école. « Les parents fondateurs avaient pour objectif que chaque enfant soit bien entouré, quelle que soit la famille. » Pas question de repli communautaire pour autant. Les parents veulent une école ouverte à tous, qui prépare l’intégration de leur progéniture à la société belge dans toutes ses variantes ethniques, sociales, culturelles, et qui accorde à chacun le respect auquel il a droit. Ayse Tufek, la coordinatrice de l’école, se rappelle l’énergie des parents à transformer les bâtiments de cette ancienne imprimerie de timbres Valois dans ce quartier où beaucoup de maisons sont à vendre et que les petites entreprises ont déserté.
Faire oublier « l’école des Turcs »
Le moindre espace de la cave au grenier est aménagé pour encadrer environ 200 élèves. L’équipe pédagogique, dont la plupart n’est ni d’origine turque, ni musulmane, travaille de concert au vivre ensemble. « La réussite de l’équipe, comme le souligne Frédéric Billiard, c’est de créer du lien et du respect au sein d’une communauté plurielle. » Lui-même est italo-belge.
L’École des étoiles fait tout pour faire oublier son image d’ « École des Turcs ». Son projet éducatif consiste à impliquer l’enfant socialement dès la première maternelle en lui faisant vivre des rencontres et des découvertes, à commencer par le voisinage immédiat de l’école. La Fête des voisins, par exemple, a permis de briser la méfiance et de tisser des liens avec les habitants du quartier, toutes générations confondues, notamment à travers l’art. Une classe a choisi de s’impliquer dans la visite régulière d’un home pour personnes âgées. Les projets d’implication sociale changent chaque année. Plus ponctuellement, et selon les circonstances, les élèves organisent une collecte de vêtements pour les réfugiés ou une récolte d’argent pour les restos du cœur. En sixième primaire, l’élève remet son chef-d’œuvre, son projet individuel pour lequel il a été accompagné par un parrain ou une marraine. « Peu importe l’œuvre, c’est le chemin pour y arriver qui compte pour faire comprendre à l’enfant comment mener à terme un projet, les difficultés qu’il peut rencontrer et comment les surmonter », détaille Frédéric Billiard.
Des comptes à rendre seulement à la Fédération Wallonie Bruxelles
C’est à l’occasion de ces échanges que des familles belgo-belges ou mixtes découvrent l’école et choisissent d’y inscrire leur enfant. « Nous n’avons de comptes à rendre à personne, uniquement à la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont nous suivons strictement les programmes, et qui nous contrôle via ses inspecteurs de l’enseignement », précise Ayse Tufek, la coordinatrice pédagogique. Le calendrier scolaire suit les congés officiels, il n’y a pas d’aménagement spécial pour les fêtes religieuses musulmanes, mais sans pour autant les ignorer. « L’école fête tout le monde, c’est l’occasion d’expliquer à tous les enfants le sens de la fête, qu’il s’agisse de Saint Nicolas, qui vient chaque année, de Noël avec les cougnous et le cacao chaud, ou de la fête du sacrifice », se réjouit Frédéric Billiard.
Les familles sont étroitement associées aux projets de l’école, aucune n’est oubliée ou mise sur le côté. Ayse Tufek se rend chez les parents avec l’institutrice si c’est nécessaire, « toujours dans un but d’apaisement, de communication et d’inclusion de chacun ». Ces visites permettent aussi aux enseignants de mieux comprendre certains comportements inexpliqués de l’enfant. « Si une famille rencontre des difficultés financières, on trouve toujours une solution. L’association de parents est très active et attentive », précise le directeur.
Évolution historique
Cet été, l’actualité en Turquie a rattrapé l’école bien malgré elle. Des parents ont retiré leur enfant suite au coup d’État attribué à Fethullah Gülen et aux injonctions du président Tayyip Erdoğan. Ayse Tufek, explique que « des parents fondateurs se sont sans doute inspirés du modèle social de Fethullah Gülen mais l’école ne s’est jamais revendiquée d’un courant politique quelconque et elle tient à cette indépendance ».
L’École des étoiles trace son chemin au sein d’une société multiculturelle attachée au vivre ensemble et à mettre en valeur tout ce qui rassemble dans le respect de chacun.
Marchienne-au-Pont a accueilli une grande vague d’immigrés turcs dans les années 1960 et 1970 pour travailler dans les charbonnages. Aujourd’hui, au sein de l’école, la majorité des enfants est issue du Maghreb – Maroc, Tunisie, Algérie –, les enfants d’origine turque ne représentant plus que 20 %. La plupart jouissent d’ailleurs de la nationalité belge. L’École des étoiles trace son chemin au sein d’une société multiculturelle attachée au vivre ensemble et à mettre en valeur tout ce qui rassemble dans le respect de chacun. Après dix ans d’existence, le pouvoir organisateur a fédéré trois écoles fondamentales (Bruxelles, Marchienne-au-Pont et Liège) et une école secondaire répartie sur deux sites (Haren et Monceau-sur-Sambre). Frédéric Billiard, le directeur de Marchienne-au-Pont, rêve d’accueillir un jour des enfants juifs.
Un cours de citoyenneté, tout naturellement
En tant qu’école libre non confessionnelle, la direction est tenue d’organiser un cours de citoyenneté une heure par semaine. Le civisme fait depuis toujours partie intégrante du cours de morale laïque et constitue l’une des valeurs prônées par l’équipe pédagogique. Par contre, l’aspect philosophique et le développement de l’esprit critique prévus par le cours de philosophie et de citoyenneté sont novateurs. C’est d’ailleurs l’institutrice de morale, formée à la neutralité, qui a hérité des six heures que l’école consacre au nouveau cours. Seulement quatre enfants sur 170 ont abandonné complètement les cours de religion et de morale. « Mon souhait, confie le directeur Frédéric Billiard, c’est que toutes les heures de religion et morale soient un jour fondues dans le cours de citoyenneté et de philosophie. La transmission de la foi reste malgré tout du domaine familial et privé. »
En somme, l’École des étoiles est similaire à beaucoup d’écoles officielles, soucieuse des valeurs universelles, avec probablement plus de liberté et de souplesse pour l’équipe pédagogique, et un côté familial auquel elle reste viscéralement attachée.