Le 2 octobre 2016, la Hongrie s’apprête à tenir son référendum sur les quotas de réfugiés. Les projecteurs de toute l’Europe sont braqués sur ce pays, l’attente fébrile du résultat pèse sur les consciences. Et pour cause!
Le gouvernement populiste du Premier ministre Viktor Orbán appelle le peuple aux urnes pour répondre à une question aussi vague que singulière: « Voulez-vous que l’UE puisse prescrire l’installation obligatoire de personnes de nationalité non hongroise en Hongrie, et ce, sans l’accord du Parlement? »
Le mythe de la résistance à l’oppresseur étranger est une dimension bien présente dans la conscience collective.
Un terreau propice
Dans un pays à l’histoire aussi mouvementée que la Hongrie, le mythe de la résistance à l’oppresseur étranger est une dimension bien présente dans la conscience collective. En témoigne le fait que deux des trois fêtes nationales hongroises commémorent des révolutions contre des puissances étrangères: le 15 mars, la révolution de 1848 contre les Habsbourg et le 23 octobre, celle de 1956 contre l’URSS. C’est dans ce terreau fertile qu’il faut replacer le référendum de M. Orbán qui, depuis des années, dépeint Bruxelles, capitale de la machiavélique Union européenne, comme la nouvelle force étrangère qui tente de prendre les commandes du pays.
Une campagne permanente
Deuxième ingrédient clé: la propagande gouvernementale. Une semaine après l’attaque de Charlie Hebdo, M. Orbán déclarait: « Nous ne voulons pas d’une minorité considérable d’appartenance culturelle différente, nous voulons que la Hongrie reste la Hongrie. »
Dès le printemps 2015, le gouvernement lance une « consultation nationale sur l’immigration et le terrorisme » – notez l’absence du terme « réfugié » – posant douze questions biaisées dont: « Confirmez-vous qu’il vaut mieux aider les familles hongroises plutôt que les immigrés? » Cette campagne sera assortie d’affiches gouvernementales dans la presse et dans la rue distillant des messages tels que: « Si tu viens en Hongrie, tu dois respecter notre culture ».
C’est suite à cette consultation dont les résultats seront interprétés par le gouvernement comme un feu vert pour une politique plus radicale que la tristement célèbre clôture de barbelés à la frontière sud du pays sera érigée. Clôture qui agira tel un goulot d’étranglement permettant de condenser le flux de réfugiés aux portes du pays afin de catalyser l’anxiété croissante d’une population peu habituée à l’immigration.
Reprendre la main sur l’arène politique
Début 2016, la communication gouvernementale sur les réfugiés n’arrive plus à structurer le débat public. Les personnels de la santé et de l’éducation dénoncent les conditions catastrophiques régnant dans leurs secteurs, les politiques liberticides du gouvernement ainsi que les nombreux scandales de corruption.
À l’annonce du référendum, le pouvoir hongrois va donc mal. Il doit reprendre la main sur l’agenda politique. Quoi de mieux qu’un référendum aux airs de lutte pour la souveraineté du pays amalgamant terrorisme, réfugiés et migrants économiques?
Début mai, de nouvelles affiches apparaissent: « Envoyons un message à Bruxelles, pour qu’eux aussi comprennent » suivies durant l’été d’une campagne cyniquement labélisée « campagne d’information » et durant laquelle de nouvelles affiches martèlent des messages tels que « Le saviez-vous? Bruxelles veut introduire l’équivalent d’une ville entière d’immigrants illégaux en Hongrie. »
(voir photo ci-contre) ou encore « Le saviez-vous? Depuis le début de la crise des réfugiés, le harcèlement des femmes a très fortement augmenté. » Cette campagne est assortie d’un fascicule de propagande envoyé à tous les citoyens et présentant des statistiques biaisées démontrant l’effet néfaste de l’immigration sur la sécurité en Europe.
Une question d’une ambiguïté toute calculée
Dernier ingrédient clé: l’ambiguïté de la question. En effet, commentateurs et opposition s’interrogent dès l’annonce du référendum. Qui sont ces « personnes de nationalité non hongroise »? Les réfugiés? D’autres migrants? S’il s’agit des réfugiés, pourquoi tant d’efforts alors que le système européen n’exige de la Hongrie que le traitement d’à peine un millier d’entre eux? Mais surtout, en cas de victoire, quelles sont les mesures que le gouvernement compte prendre?
Face à cette ambiguïté, la société hongroise se divise. Il est clair qu’après un an et demi de propagande, une forte proportion de la population votera « non », vote préconisé par le gouvernement.
En revanche, pour l’opposition et les organisations de la société civile, l’ambiguïté de la question pose un réel problème: il s’agit de trouver un moyen de faire campagne sans pousser les citoyens à aller voter, même « oui », puisque ce simple fait reviendrait à légitimer le référendum.
En effet, en Hongrie, afin qu’un référendum soit légalement contraignant, il faut qu’au moins 50% de la population y participe. Deux approches seront retenues: le boycott et le vote invalide, c’est-à-dire cocher la case « oui » et la case « non » à la fois. Tous deux ont l’avantage de ne pas contribuer au taux de participation tout en permettant d’exprimer un rejet.
Perdre ou gagner: qu’importe le résultat?
Un terreau fertile, une propagande sans relâche, une question ambiguë: les ingrédients de la victoire étaient réunis. Mais la mayonnaise a-t-elle vraiment pris? Le 2 octobre, le résultat tombe enfin: certes le « non » remporte une victoire écrasante à environ 98% mais seuls 43% de la population se sont déplacés et 6% de ces votes sont invalides. Le boycott et l’appel au vote nul ont fonctionné. Il s’agit donc d’une cuisante défaite pour le gouvernement et de la victoire d’un peuple qui aura su exprimer, malgré les efforts de l’appareil étatique, son rejet de cette manipulation populiste.
Dans certains pays, le Premier ministre démissionnerait. Mais M. Orbán ne l’entend pas de cette manière et déclare sur un ton victorieux qu’un « clair mandat » a été donné au gouvernement pour la poursuite de sa politique migratoire. Telle est la réponse faite à une cuisante défaite par un Orbán qui semble avoir perdu tout lien avec le concept de démocratie.
Reste que les ravages causés au sein de la société hongroise, plus divisée que jamais, sont bel et bien réels et que le gouvernement aura réussi à monter un peu plus encore une partie du pays contre l’autre. Technique qu’Orbán n’est pas le seul à utiliser en Europe et que beaucoup, même s’ils ne l’avouent pas ouvertement, lorgnent avec grand intérêt…