Depuis longtemps, des neuropsychiatres et des sociologues posent le problème des dépendances sévères liées à des produits psychoactifs (drogues, alcools, médicaments) mais aussi, récemment, plus largement, de celles qui impliquent des conduites sociales régies par des appétences et des dépendances fonctionnelles. Le mot « appétence » (pas synonyme de désir) est utilisé ici comme une aggravation de la notion d’appétit (notion couramment liée à la faim, la soif voire la sexualité, les sports, le travail, les jeux, les achats). Que ce soit la présence de l’offre dans l’environnement immédiat, les mimétismes sociaux suscitant la curiosité, l’attirance, et les différentes cultures d’accoutumances qui se « justifient » en termes de transgression, d’aventure ou d’accomplissement de soi, on s’enthousiasme de plus en plus dans une liberté « négative » – ou quand consommation rime avec consumption. Le sentiment de liberté procuré par la consommation est une liberté contingente.
Nos addictions désignent l’obligation pratique d’obtenir régulièrement certaines satisfactions afin d’assurer un bien-être. Le cadre socio-économique (Europe du Nord) et les injonctions libérales incessantes nous retirent même le souci fonctionnel, de sorte que nous ne sommes plus que le reflet de nos besoins. Nous en sommes à vivre nos vies en creux, vies soumises à un circuit fermé de punitions (inaccessibilité immédiate du produit convoité) et récompenses (paquet livré en 2 heures).
Le temps n’a plus le temps de rien, ni de lui ni de nous. Des horizons lointains (grandes théories des Golden Years) aux petits écrans tenus en main, notre espace-temps est devenu peau de chagrin. Les affiches, les enseignes à LED, les unes des magazines, les tweets, autant de filtres « ludiques » occultant nos éthiques de vie individuelle ou collective. Restent nos marges de manœuvre infimes pour atténuer ces vulnérabilités physiques et morales. D’où peuvent partir ces microrévolutions? Comment reconquérir nos systèmes neuronaux et vertueux? Nous nageons en pleine acrasie (2), l’illogisme moral contraint nos quotidiens. Ne serait-ce pas de cette contradiction que la déconstruction, la libération naîtraient?
(1) Addiction, version anglicisée d’accoutumance.
(2) L’acrasie est le fait d’agir à l’encontre de son meilleur jugement.