En ce début d’année, il est bon de se souvenir que la laïcité n’est pas un cadeau tombé du ciel. Elle est le résultat d’une longue évolution de la pensée dont l’aventure commence vraiment avec le concept de tolérance développé au XVIIIe siècle par Locke.
Au sortir des guerres de religion, celui-ci repose sur deux célèbres propositions:
- Nul n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre.
- Nul n’est tenu de n’en avoir aucune.
C’est un progrès considérable puisque le citoyen n’est plus tenu d’appartenir à la religion du roi. Il demeure que si vous êtes libre de choisir votre religion, c’est à la condition d’en avoir une. L’athée n’est donc pas toléré. Avec un homme sans foi, par définition sans loi, il ne serait pas possible de construire du lien social.
En traversant le channel, le concept va subir l’influence des Lumières et s’élargir à une troisième proposition. Il se déclinera dorénavant comme suit:
- Nul n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre.
- Nul n’est tenu de n’en avoir aucune.
- Nul n’est tenu d’en avoir une, plutôt qu’aucune.
Comme le relève Catherine Kintzler, nous sommes alors très proches de la laïcité. Mais, pas encore. Pour y accéder, outre ce régime de liberté, il faudra ajouter une exigence supplémentaire: l’impartialité du Prince.
La liberté ne suffit plus. Elle doit être garantie au citoyen qui en devient le juste créancier et exige l’émancipation notamment par le partage des savoirs. L’accès à l’école moderne, l’école mixte, gratuite et obligatoire pour tous, celle défendue par Francisco Ferrer et bien d’autres, celle de la Ligue de l’enseignement en Belgique d’abord, en France et en Espagne ensuite, constituera l’épicentre de la bataille des XIXe et XXe siècles. Celle-ci n’est pas terminée.
La laïcité, celle que nous défendons, n’est donc pas un concept à géométrie variable. Elle a une histoire et une définition. Elle ne se réduit pas comme certains le prétendent à une mouvance plurielle, une auberge espagnole où chacun, de l’extrême droite à une certaine gauche plus partisane qu’universaliste, «neutraliste» ou «tolérant», «traditionaliste» ou «politique», veut la qualifier à son avantage, d’ouverte ou fermée, de bonne ou mauvaise, voire de politique ou philosophique…
Par laïcité, nous entendons le principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité d’un pouvoir civil démocratique qui s’oblige à contribuer à l’émancipation des citoyens. La laïcité n’est donc pas plurielle dans sa définition. L’adjectiver revient à la dénaturer.
Nous la voulons sans attribut, minimaliste, distincte de l’infinité des actions qu’elle peut fonder, ces actions que vous menez, chacune et chacun, chaque jour. Seules celles-ci sont plurielles, fonction du contexte, du moment et du lieu, des personnes et de leur besoin d’émancipation.