Considérant l’individualisme des artistes et la nouvelle forme de « religion » que seraient les droits humains, le point de conjugaison le plus pertinent entre l’art et les droits de l’homme est simpliste mais essentiel: art et droits fondamentaux sont faits par les hommes et pour les hommes.
Dans « l’affaire » opposant art et droits de l’homme, un premier constat s’impose: sans langage commun, l’individualisme de l’artiste s’affirme de plus en plus fortement. Or, le droit est a priori totalement à l’opposé: il crée des règles pour la vie en société, trouve ce qui est commun. L’art n’est plus dans la norme; or le droit reste l’expression de la norme. Le risque, à l’inverse, est que les droits de l’homme entendent régenter l’art et les artistes alors que, de surcroît, ils protègent mal les artistes et la liberté de l’art: la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est pauvre à cet égard (1). Le risque est latent que les droits humains deviennent une sorte de religion, de pensée politiquement correcte. Ces droits peuvent-ils rappeler l’artiste à l’ordre, le réprimer, voire lui supprimer sa liberté d’expression?
De la confrontation à la conjonction
L’artiste est celui qui dépasse sa particularité, son individualité, pour parler aux autres à travers son œuvre. Les droits de l’homme doivent être, tout comme l’art, en perpétuelle évolution. Et les juristes doivent accepter que les droits de l’homme soient à la fois un objectif et un moyen, et qu’ils sont en construction permanente… comme l’est la lecture d’une œuvre. Notre lecture de l’art est tout aussi importante que sa production. Et la lecture que l’on fait des droits de l’homme est tout aussi importante que le texte en tant que tel. Les droits humains, tout comme l’art, sont des instruments vivants qui évoluent dans le temps et dans l’espace. Ils sont créés pour les hommes et par les hommes. À nous donc de leur donner leur sens.
La responsabilité civile et pénale de l’artiste
Dans le cadre démocratique de la liberté de l’art, on peut s’interroger sur la responsabilité de l’artiste lorsqu’il s’agit par exemple d’œuvres qui sont des incitations à la violence, à la haine ou à d’autres idées non démocratiques. Cette question de la responsabilité de l’artiste touche aux frontières de la liberté. Le risque d’une opposition forte entre droits de l’homme et art est bien présent et l’on pourra dire à l’artiste, au nom des droits de l’homme, que «cela ne va pas». Et des œuvres pourront être interdites. Le problème est alors de savoir si les droits de l’homme ne deviennent pas une pensée dominante qui, à un moment donné, irait à l’encontre de la liberté d’expression de l’artiste. Il n’y a pas de réponse absolue. S’il faut attirer l’attention de l’artiste sur les conséquences de son œuvre, autre chose est de la condamner. Si c’est le cas, il faut le faire avec mesure, en appréciant la réalité du danger.
L’artiste, un sur-citoyen engagé par défaut?
Un artiste serait-il dès lors moins condamnable qu’un autre citoyen? Pour tenter de répondre à cette interrogation, on peut partir de la différence entre l’interprétation d’une œuvre par celui qui la reçoit et l’interprétation publique qu’en ferait l’artiste lui-même. Si son discours est un appel à la haine raciale, revendiqué comme tel, il peut y avoir condamnation. Si l’œuvre est interprétée contrairement au vœu de l’artiste, la prudence est de mise. S’il ne s’exprime pas, l’interprète, c’est vous…
L’artiste n’a aucune obligation d’engagement, que ce soit en faveur des droits humains ou de toute autre cause. C’est lui qui décide de le faire via les œuvres qu’il produit en tant que créateur, via les actes citoyens qu’il pose en tant qu’individu ou de renoncer à toute forme d’engagement. Ne pas lui laisser cette liberté, c’est arriver à une dictature de l’engagement –aujourd’hui pour les droits de l’homme, demain pour une autre cause. Le rôle de l’artiste est de poser des questions à partir de ses propres questions.
Dans l’affaire opposant art et droits de l’homme, au-delà de la confrontation, un point de conjonction essentiel réside dans l’interrogation posée à la fois par l’artiste et par le juriste, et de faire de cela une construction permanente, pour réinventer le monde.
Cet article synthétise l’intervention de l’auteur lors d’un colloque intitulé « Art et droits de l’homme: motivations et enjeux » organisé par Culture et Démocratie.
(1) Seule mention directe en est faite dans l’article 13 intitulé « Liberté des arts et des sciences »: « Les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée. »