Espace de libertés – Décembre 2015

De Syrie en Belgique: le CAL comme premier refuge


Libres ensemble
Début octobre, le camp de fortune établi depuis plusieurs semaines dans le parc Maximilien pour héberger les réfugiés était démantelé. Si certains ont trouvé refuge dans les bâtiments mis à disposition par le gouvernement, beaucoup se sont retrouvés à la rue. Des étudiants de l’ULB se sont mobilisés aux côtés de la Plateforme citoyenne pour leur trouver des solutions d’hébergement.

Face à l’urgence, les jeunes membres de la plateforme ULB Students with Refugees ont organisé ce qu’ils appellent « le placement en famille »: en trois jours, ils ont placé quelque 200 réfugiés dans des familles bénévoles qui les accueillent chez elles. Mais cette solution requiert une logistique importante. Elle est intenable sur le long terme. Il fallait trouver une solution d’hébergement collectif. La plateforme a demandé le soutien des autorités de l’ULB, qui se sont tournées, pour l’hébergement, vers le Centre d’Action Laïque. Le bâtiment de ce dernier, situé sur le campus de la Plaine, répondait en effet aux critères pour offrir un accueil digne et humain: une grande salle pouvant accueillir 20 à 25 matelas, des sanitaires (douches et WC), une cuisine, un lave-linge et un séchoir.

C’est ainsi que, dès le mardi 6 octobre et chaque nuit pendant trois semaines, le CAL a hébergé une vingtaine de candidats à l’asile. La plupart ont fui la Syrie, ses combats, ses violences, ses morts. Ils ont tout risqué pour l’espoir d’une vie plus sûre. L’organisation était bien rodée. Chaque soir, le même scénario: les candidats réfugiés arrivaient au CAL par petits groupes. Quatre à cinq bénévoles se chargeaient d’aller les chercher en voiture ou en camionnette devant l’Office des étrangers où ils faisaient la file et de les conduire au CAL. Le lendemain, très tôt, ils rejoignaient de nouveau la file, dans l’espoir d’obtenir un rendez-vous.

Les premiers réfugiés sont arrivés peu après 20 heures. Les étudiants les ont accueillis avec un rapide tour du propriétaire: « Le dortoir, c’est ici. Vous pouvez y déposer vos affaires. Là, vous avez les sanitaires. Un peu plus loin la cuisine. Si vous voulez prendre une douche, c’est au sous-sol. » Des affiches, en arabe, informaient sur les quelques règles d’usage. Certains ont couru sous la douche, mais la plupart ont préféré se poser, se reposer, profiter du Wi-Fi pour contacter leurs proches ou simplement discuter, entre eux ou avec les bénévoles.

Leurs histoires sont toutes différentes et se ressemblent pourtant. Aucune ne laisse indifférent. Parmi ces histoires, il y a celle d’Ibrahim (1).

« Je ne voulais pas tirer sur mes amis »

Ibrahim a 19 ans. Il vient d’arriver en Belgique. Il a quitté la Syrie, il y a un peu plus d’un mois, fuyant les combats. Issu d’une minorité, il s’est retrouvé, comme beaucoup, pris en étau entre les groupes armés et l’armée régulière, obligé de choisir un camp. D’un côté, les rebelles et leurs persécutions; de l’autre, le régime et le service militaire obligatoire. Il ne voulait ni de l’un, ni de l’autre: « Je ne souhaitais pas me battre aux côtés des civils, mais je ne voulais pas entrer dans l’armée non plus. C’est pour ça que j’ai fui. J’ai des amis qui se bat- tent avec les rebelles. Je ne voulais pas tirer sur mes amis. »

Tant qu’il poursuivait ses études, Ibrahim était dispensé de service militaire. Mais l’université coûte trop cher. Cette année, faute d’argent, il n’a pas pu s’y inscrire. Il n’y avait donc plus d’autre solution que de fuir. Son père, sa mère, ses sœurs sont restés là-bas, vendant leur terre et lui confiant le peu qu’ils avaient.

La première idée d’Ibrahim était de s’installer en Turquie, le temps que les conflits se calment en Syrie. Mais il n’y est finalement resté qu’une semaine: « En Turquie, il n’y avait aucune infrastructure. Nous n’avions aucun droit, pas même l’accès aux soins médicaux. » Il a alors décidé de se rendre en Europe, par la Méditerranée et la Grèce. Il garde des passeurs un souvenir amer: « J’ai été marqué par le manque d’honnêteté et de compassion des passeurs. C’est comme si nous n’avions plus de valeur humaine: 1.200 euros par tête, voilà tout ce qu’on représentait pour eux. Et une fois qu’ils avaient l’argent, nous n’étions plus leur problème. » Ibrahim ne parlera pas de sa traversée. Il a dû s’y reprendre à plusieurs reprises. Nous saurons juste qu’il a fini par réussir à arriver en Grèce, sur une île dont il a oublié le nom.

Là, c’est un autre long périple qui commence. En bus, en train, en taxi parfois, dormant dans des camps ou dans la rue, Ibrahim traverse, comme des milliers d’autres, la Macédoine, la Serbie, la Croatie, la Slovénie, l’Autriche et l’Allemagne, avant d’arriver en Belgique. Dans chaque pays, ce sont de nouvelles procédures –qu’il ne comprend pas toujours–, des heures d’attentes aux frontières qui s’ouvrent ou se referment, la recherche d’un toit et de nourriture. Ibrahim a choisi la Belgique pour sa petite taille: « Je n’aime pas les grands pays. Je voulais retrouver des villes à taille humaine, comme ce que je connais en Syrie. »

Arrivé la veille en Belgique, Ibrahim est fatigué. Il a fait la le pendant 12 heures devant l’Of ce des étrangers. Il y retournera le lendemain très tôt, avec la boule au ventre: « Je les ai déjà vus, mais ils m’ont donné un document différent de celui que les autres ont reçu. » Il montre une attestation rédigée en français avec la mention « Dossier introuvable » inscrite au bic. « Je ne comprends pas ce qu’il se passe, ni ce que je dois faire. » Les bénévoles tentent de le rassurer, de lui expliquer comment se passent les procédures. Et malgré tout, malgré ces incertitudes, Ibrahim garde espoir et a le sourire aux lèvres.

Une action inscrite dans la durée

Aujourd’hui, les étudiants continuent de se mobiliser. Une plate-forme nationale a vu le jour: Belgian Students With Refugees. Leur objectif? Inscrire leur action en faveur d’un accueil digne des réfugiés dans la durée. Via la création de cellules spécialisées (aide juridique, soutien psycho-social…), la sensibilisation de la population (organisation de conférences et débats), le « parrainage » de réfugiés (un particulier s’engage à prendre sous son aile un réfugié dans un centre, lui rendre visite, l’aider administrativement)… Il va de soi que le Centre d’Action Laïque les soutient dans cette action, notamment via les actions de terrains des régionales.

 


(1) Nom d’emprunt.