Impliquée dans un attentat au Caire, une Française avait précisément désigné aux enquêteurs la salle de spectacle comme une cible. Les parents de la jeune Cécile, tuée en Égypte en 2009, s’interrogent sur de possibles connexions avec les attentats de Paris.
La thèse, largement diffusée, d’attentats « aveugles », frappant à Paris indistinctement des cibles dénuées de charge symbolique (tel Charlie Hebdo ou la supérette casher de Vincennes) ne tient pas au regard d’informations dont dispose la justice antiterroriste. La salle du Bataclan a déjà fait l’objet d’un projet d’attentat au motif que ses propriétaires étaient « des Juifs ». Ces éléments ont été livrés aux enquêteurs par une Française impliquée dans un autre attentat, perpétré au Caire en 2009.
Du Caire à Paris
Le 22 février 2009, une bombe explose dans la capitale égyptienne près du bazar Khan el-Khalili. Un groupe de lycéens français en villégiature était visé, la jeune Cécile Vannier, 17 ans, est tuée sur le coup, 24 de ses camarades sont blessés. D’emblée, Le Canard enchaîné (1) révèle une information capitale: une note de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, les services secrets) affirme que le groupe d’adolescents a été délibérément ciblé parce que français, et ce, pour « faire payer à la France la participation de la frégate Germinal au blocus de Gaza », en janvier 2009. En mai, la Sécurité d’État égyptienne interpelle sept personnes de diverses nationalités –égyptienne, belge et une Française, Dude Hoxha, connue des services de police hexagonaux pour ses liens avec des activistes islamistes. Extradée en France, elle est longuement interrogée par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, devenue depuis DCSI). Une commissaire adresse au juge antiterroriste Yves Jannier une note indiquant que « ses relations amicales et financières avec l’un des commanditaires supposés de cet acte de terrorisme, Khaled Moustafa, incitent à poursuivre les investigations concernant [Dude Hoxha] ». Par ailleurs, « elle connaît très bien Khaled Moustafa, considéré par les Égyptiens comme le chef d’Al-Qaïda en Palestine ». Selon les services égyptiens, ce groupe, la Jaish al-Islam (l’Armée de l’islam) est tenu pour constituer la branche d’al-Qaida à Gaza, responsable de l’attentat du Caire.
Des menaces…
Lors de sa quatrième audition par la DCRI, la Française indique qu’un dénommé Farouk Ben Abbes, interpellé en même temps qu’elle au Caire, « avait un projet d’attentat en France contre le Bataclan ». Dans le même temps, une de ses proches amies, Fatima F., incarcérée au Caire, justifie cette action terroriste au motif que « les propriétaires [du Bataclan] sont des Juifs ». En janvier 2007, la salle de spectacle a été l’objet de menaces de mouvements islamistes pour avoir accueilli un concert en soutien « aux gardes- frontières israéliens ». Toujours au Caire, d’autres comparses de Hoxha évoquent précisément des projets d’attentats contre « une synagogue en France, l’ambassade de France et le Centre culturel français au Caire ».
Mise en examen pour avoir « participé à une entente établie ou à un groupement formé en vue de la préparation d’actes de terrorisme » et « participé, financé une entreprise terroriste », la Française sera incarcérée quelques mois avant d’être libérée. Selon nos informations, elle réside toujours en banlieue parisienne.
Ajoutons cette certitude des services français: Farouk Ben Abbes, commanditaire de l’attentat du Caire, a été en contact direct avec Fabien Clain, le djihadiste français qui a revendiqué par un message vocal les attentats du 13 novembre à Paris, au nom de l’État islamique, et ce, depuis la Syrie.
… mais pas de mise en garde
Aujourd’hui, les parties civiles dans l’affaire de l’attentat du Caire, les parents de Cécile Vannier au premier rang, se disent stupéfaits que ces éléments précis et concordants n’aient pas alerté les services antiterroristes quant à un risque d’attentat visant le Bataclan. Fin septembre dernier, la salle de spectacle a été rachetée par le groupe Lagardère. Le fringuant patron Arnaud s’est d’ailleurs rendu sur les lieux au lendemain des attentats. Aucune mise en garde générale ou particulière n’a été adressée par les services spécialisés aux exploitants du Bataclan, pas plus récemment que lors des révélations de Dude Hoxha. Le dossier de l’attentat du Caire semble aujourd’hui enlisé. En avril 2012, avant de quitter l’Élysée, Nicolas Sarkozy avait adressé une lettre circonstanciée à son homologue égyptien d’alors, Hosni Moubarak, a n de s’enquérir du devenir de la commission rogatoire internationale délivrée par le juge français, du sort des deux commanditaires présumés et de la communication des résultats complets de l’enquête technique réalisée par la police égyptienne. Aucune suite ne fut donnée.
Une enquête au point mort
Les parties civiles fulminent contre la Justice tricolore. Dans un premier temps, le magistrat instructeur parisien niait l’existence même de la note de la DGSE révélée par Le Canard. Après maintes demandes, les services ont bien adressé au juge un document factuel concernant l’attentat du Caire. Une pièce dénuée d’intérêt qui n’a même pas été versée au dossier. Fin 2014, les parents de Cécile et ses camarades blessés ont été reçus par le médiatique juge Marc Trévidic qui avait hérité de l’instruction. « Il s’est contenté de nous dire qu’il s’agit d’un “vieux dossier” et qu’il ne fallait pas s’attendre à des miracles », déplore Mélanie, une proche amie de la lycéenne tuée au Caire.
Pas plus qu’hier, les magistrats antiterroristes ne semblent aujourd’hui pressés d’apporter des réponses à leurs questions: pourquoi la note de la DGSE n’a-t-elle pas été versée au dossier, pourquoi celui-ci est-il au point mort? Questions auxquelles ils ajoutent désormais une autre: existe-t-il un lien entre le réseau terroriste qui clamait sa volonté de viser le Bataclan et les sanglants attentats du 13 novembre dernier qui y ont été commis?
(1) Dans son édition du 25 février 2009.