Le Synode des évêques, qui a pour mission d’informer et de conseiller le pape, s’est réuni en octobre à Rome sur le thème de la famille. Si, depuis l’arrivée du pape François, le discours du Vatican a évolué sur bien des sujets de société, on ne peut en dire autant pour la famille.
La famille demeure essentielle aux yeux du Vatican, car elle « représente une valeur fondatrice et une ressource irremplaçable pour le développement harmonieux de toute société humaine » (1). Mais cette famille a aussi et avant tout une mission, car « il appartient à la famille chrétienne de transmettre la foi à ses enfants ». Au-delà des discours, personne ne doit donc être dupe: le contexte de l’évangélisation était l’en- jeu primordial de ce synode. Cette dimension n’est même pas cachée, elle transpire de chaque ligne des docu- ments préparatoires à ce synode: « La famille, par nature, est missionnaire et sa foi grandit en la donnant à d’autres. »
La famille figée
En concluant ce synode, le pape François a martelé à quel point il voyait dans cet exercice synodal « la preuve de la vivacité de l’Église catholique qui n’a pas peur de secouer les consciences anesthésiées ou de se salir les mains en discutant de la famille d’une façon animée et franche » (2). À l’analyse cependant, ces « éminences » n’ont sans doute pas assez été secouées, car, de façon générale, la vision de la famille prônée par le Vatican reste celle d’une société discriminatoire qui assigne les uns (et sur- tout les « unes ») et les autres à des rôles définis de toute éternité.
Schématiquement, la famille chrétienne ne peut se matérialiser que dans un mariage entre un homme et une femme qui procréent. Tout autre cas de figure semble encore perturber le Vatican qui, néanmoins, voudrait adopter une attitude plus empathique par rapport à ces situations. Mais cette attitude positive que doit avoir l’Église envers ceux qui ont fait des choix de vie différents de ceux qu’elle a dictés a, en réalité, comme objectif principal de les remettre dans le droit chemin: « Toutes ces situations doivent être affrontées d’une manière constructive, en cherchant à les transformer en occasions de cheminement vers la plénitude du mariage et de la famille à la lumière de l’Évangile. »
Car ne l’oublions pas, ceux qui se sont mis ainsi dans l’irrégularité par rapport au mariage religieux ont, pour le Vatican, commis un péché et leur retour passera par la « voie pénitentielle ». En gros, un divorcé est toujours une personne qui a commis un péché qui, pour cela, doit expier sa faute et faire pénitence. Affirmer ainsi que quelqu’un qui a fait usage d’un droit qui lui est octroyé par la loi civile est en « faute » témoigne du peu de considération de la part du Vatican pour le principe de la séparation des pouvoirs.
La famille excluante
Selon le pape François, ce synode signifie aussi « avoir mis à nu les cœurs fermés qui souvent se cachent jusque derrière les enseignements de l’Église ou derrière les bonnes intentions pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées » (3). Pourtant, malgré cette mise à nu, une union entre personnes du même sexe continue à déplaire au Vatican. L’Instrumentum Laboris évoque alors « l’attention pastorale envers les personnes ayant une tendance (4) [sic] homosexuelle ». Si le discours dégouline de bons sentiments quant à l’accueil qui doit leur être réservé (5), d’autres passages sont eux particulièrement édifiants sur la perception de l’homosexualité par le Vatican:
- « Il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homo- sexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille. » Le mariage entre personnes de même sexe n’est donc pas un « vrai » mariage pour le Vatican et peu importe que des parlements nationaux se soient prononcés en ce sens…
- Au-delà de l’accueil à réserver aux personnes homosexuelles, « il serait souhaitable que les projets pastoraux diocésains réservent une attention spécifique à l’accompagnement des familles où vivent des personnes ayant une tendance homosexuelle et à ces mêmes personnes »… Bref, il faut accompagner les familles dans lesquelles il y a aurait une personne homosexuelle! Pourquoi? Doit-on déduire que, si elles ont besoin de cet accompagnement, c’est parce que ces familles souffriraient de la présence d’une personne homosexuelle parmi elles? Parce que ce serait une épreuve?
La famille mobilisée
Avec ce synode, l’heure est à la mobilisation pour le Vatican qui précise qu’il est « urgent que les chrétiens engagés en politique encouragent des choix législatifs appropriés et responsables en matière de promotion et de défense de la vie. Tout comme la voix de l’Église se fait entendre au niveau sociopolitique sur ces thèmes, de même il est nécessaire que se multiplient les efforts pour entrer en concertation avec les organismes internationaux et dans les instances décisionnelles politiques, afin de promouvoir le respect de la vie humaine, de sa conception jusqu’à sa mort naturelle, avec une attention particulière aux familles ayant des enfants porteurs de handicap ».
Pour ce qui concerne l’IVG, toujours taxée de « drame », l’appel est lancé par le Vatican à ses troupes d’y faire obstruction, oubliant le fait que l’usage de la clause de conscience est un acte purement individuel: « Pour ce qui a trait au drame de l’avortement, l’Église affirme le caractère sacré et inviolable de la vie humaine et s’engage concrètement en sa faveur. Grâce à ses institutions, elle offre des conseils aux femmes enceintes, soutient les filles-mères, assiste les enfants abandonnés et est proche de ceux qui ont souffert d’un avortement. Il est rappelé à ceux qui œuvrent dans les structures médicales qu’ils ont l’obligation (6) morale de l’objection de conscience. »
Quant à l’euthanasie, si le passage qui lui est consacré dans l’Instrumentum Laboris est plutôt sibyllin, il est sans équivoque: « L’Église ressent non seulement l’urgence d’affirmer le droit à la mort naturelle (7), en évitant l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie. »
Et, en n, il est scandaleux de constater que le Vatican veut « torpiller » la mise en place de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, car, dans un chapitre de l’Instrumentum Laboris, on peut lire: « Dans certains pays, on signale la présence de projets de formation imposés par l’autorité publique et dont les contenus contrastent avec la vision vraiment humaine et chrétienne: par rapport à ceux-ci, les éducateurs doivent affirmer fermement leur droit à l’objection de conscience. » Avec de pareils encouragements, les « manifs pour tous » ont (malheureusement) encore de beaux jours devant elles…
Et maintenant?
Le vernis de la communication a « lissé » quelque peu le discours, mais le fond demeure: moyenâgeux et totalement déconnecté des évolutions de la société. Pire, en se focalisant sur le sort des divorcés remariés alors que les enjeux pour les familles sont aujourd’hui énormes (sort des allocations familiales, précarité galopante pour les familles monoparentales…), le Vatican ne donne pas l’impression d’être en décalage profond avec les enjeux précités. Finalement, ce que le Vatican stigmatise, c’est une société dans laquelle chacun serait libre de poser et d’assumer ses choix: « Il faut également considérer le danger croissant que représente un individualisme exaspéré qui dénature les liens familiaux et qui finit par considérer chaque membre de la famille comme une île, en faisant prévaloir, dans certains cas, l’idée d’un sujet qui se construit selon ses propres désirs élevés au rang d’absolu. » Bref, des hommes et des femmes qui agissent par eux-mêmes, voilà ce qui effraie le Vatican.
(1) Sauf mention autre, toutes les citations contenues dans cet article sont issues de Instrumentum Laboris, 23 juin 2015.
(2) Conclusions du synode par la pape François, 24 octobre 2015.
(3) Ibid.
(4) Le mot « tendance » n’est pas innocemment utilisé. Une »tendance », on peut en changer…
(5) « Il est réaffirmé que chaque personne, indépendamment de sa tendance sexuelle, doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec sensibilité et délicatesse, aussi bien dans l’Église que dans la société. »
(6) Une objection de conscience obligatoire, cherchez l’erreur…
(7) Inventé pour l’occasion par le Vatican. Les textes internationaux qui protègent les droits de l’homme n’évoquent eux qu’un droit à la vie.