Espace de libertés | Septembre 2018 (n° 471)

« La Belgique a perdu une belle occasion ! ». Une opinion de Marleen Temmerman


Quoi?!

Gynécologue, ancienne sénatrice (SP) et directrice de l’OMS (2012-2015), Marleen Temmerman est une figure de proue de la lutte pour le droit à l’avortement légal. Elle a livré à Sylvie Lausberg (directrice «Étude et Stratégie» – CAL) son regard sur les propositions de loi pour sortir l’avortement du Code pénal et les manigances politiques des dernières semaines.


«J’ai travaillé comme gynécologue avant la loi relative à l’avortement, dans l’illégalité, avec Jean-Jacques Amy (VUB). J’ai vu des jeunes filles mourir, avec l’utérus transpercé, suite à une IVG clandestine. Il y a 40 ans, les femmes qui voulaient se faire avorter et qui en avaient les moyens ou des relations y arrivaient toujours, même dans les hôpitaux catholiques… Le problème de l’accès à l’IVG touche surtout les plus précarisées. En 2007, je suis devenue parlementaire. Nous avons travaillé à l’amélioration de la loi de 1990, mais nous n’avions pas de majorité pour faire bouger la situation. Aujourd’hui, la proposition n’est pas encore acceptable, car rien ne change du point de vue législatif, vous pouvez toujours aller en prison si vous ne respectez pas les règles. Je pense que nous avons manqué une opportunité.
Le gros problème, c’est que cette proposition de loi n’est toujours pas discutée comme un droit de la femme. Cela pourrait être envisagé sous l’angle médical et la loi n’aurait pas à interférer, car il y a de toute façon un cadre et des protocoles par rapport aux interventions médicales. Soyons clairs: je n’ai jamais vu de femmes pratiquer une IVG à la légère. Si elles dépassent le délai, c’est à cause de leurs conditions de vie, du manque d’information, d’une forme de dénis. Et pour les six jours de réflexion, c’est la même chose: certaines ont besoin de ce délai et même de plus, mais d’autres prennent leur décision en un ou deux jours. On en revient au même point: il s’agit d’une décision personnelle des femmes.
Je regrette ce compromis des partis politiques en faveur des conservateurs de la majorité. Et je pense aussi que lier cette problématique à la reconnaissance des enfants mort-nés n’est pas très heureux et n’a rien à voir. Cela sous-tend la question de la viabilité d’un fœtus. Quand j’étais étudiante, le seuil de viabilité était fixé à 28 semaines, alors qu’aujourd’hui il est à 22 semaines. Je le répète: la Belgique a perdu une chance d’être leader dans ce domaine et un exemple pour les autres pays.»