Marcher sur les traces de la colonisation à Bruxelles, par devoir de mémoire, souci d’exactitude historique ou découverte patrimoniale: tel est le but des visites décoloniales. L’occasion de s’interroger sur une Belgique quelquefois sujette à l’amnésie historique.
Organisées par le collectif Mémoire coloniale et lutte contre les discriminations, ces visites guidées répondent toutes au credo de l’association : « Ce qui est fait pour nous, sans nous, est fait contre nous. » « C’est bien l’une des choses que nous voulons montrer par ces initiatives », nous glisse le guide qui nous emmène en balade sur les traces d’un passé pas toujours reluisant. « Durant la colonisation du Congo, les autorités belges ont trop souvent prétendu que cela servait avant tout le peuple congolais. Que cela nous rendait service, en fait ! Drôle de justification pour s’approprier les richesses d’un peuple. Et les actions de cette époque se font encore ressentir aujourd’hui en RDC, qui, comme toutes les anciennes colonies, peine à se relever. » D’une autre manière, le passé colonial s’illustre encore à Bruxelles également. À chaque coin de rue, ou presque.
Patrimoine sur deniers coloniaux
Nous en avons fait l’expérience tout au long de l’un des parcours proposés, du côté du parc et de la place Royale. Au pied de la statue de Godefroid de Bouillon, on prend la direction de l’Hôtel Belle-Vue, acquis par la Fondation de la Couronne en 1902 grâce aux caisses remplies en Afrique. On passe ensuite par la rue Brederode, qui abritait le quartier général de l’État indépendant du Congo. Mais c’est peut-être la traversée du parc Royal qui marque le plus les esprits, témoin privilégié des liaisons dangereuses entre les deux pays. Un quartier qui illustre parfaitement les travers de la colonisation. On y croise, notamment, le siège de la Forminière, compagnie d’exploitation forestière et minière du Congo belge et celui de l’Union minière du Haut Katanga, qui a produit l’uranium pour les bombes de Hiroshima et de Nagasaki… Autant d’indications d’un patrimoine construit avec des moyens provenant des colonies, mais dont on ne parle pas dans les livres d’histoire belges.
Notre pays cultiverait-il sciemment l’amnésie à propos d’un passé dont il serait moins fier ? Ou, du moins, envers lequel la mémoire collective se montrerait très… sélective ? C’est l’avis de Marie, visiteuse oscillant entre le choc et la surprise de ce qu’elle vient de découvrir : « On entend effectivement souvent que notre famille royale et les grands industriels belges ont indûment profité de la colonisation pour bâtir et s’enrichir à leur seul profit. Mais seule une visite comme celle-ci permet concrètement de se rendre compte de l’étendue des dégâts. Nous n’avons plus de colonies depuis un bon demi-siècle, mais cette période reste présente partout autour de nous. » Notre interlocutrice se décrit comme une « citoyenne de base, juste un peu sensibilisée aux ravages de la colonisation ».
Au cœur de Bruxelles et du passé colonial belge, se balader du côté du parc Royal pour se rafraîchir la mémoire: essentiel ! © Sandra Evrard
« On a vécu dans le déni ! »
« Au départ, notre public était essentiellement d’origine congolaise. Ou d’origine belge mais acquis à la cause anticolonialiste, les choses changent à présent », explique le guide. De fait, dans le groupe du jour, on dénombre aussi quelques citoyens belges qui pensaient que « la colonisation visait surtout la fin de l’esclavagisme et avait apporté la civilisation au Congo ». « Mais cette visite nous montre bien que cette façon de raconter l’histoire était truffée de mensonges et d’omissions », nous confie un visiteur estomaqué, affirmant même « avoir l’impression de s’être fait rouler par des années de cours d’école qui ne nous ont rien appris, et nous ont même désappris. Bref, on nous a fait clairement vivre dans le déni. » Même son de cloche du côté de ce petit-fils de colonisateur : « Mon grand-père nous avait caché tout ça ! Voilà pourquoi ce genre d’initiative est non seulement utile, mais carrément essentielle. » Les visites décoloniales attirent de plus en plus de promeneurs, toutes catégories confondues. Signe qu’une partie de la population éprouve le besoin de revisiter son passé, qui, s’il ne fut pas de tout temps glorieux, fait partie du patrimoine et de l’histoire de la Belgique.