Espace de libertés | Septembre 2018 (n° 471)

L’affiche contre l’ordre établi


Culture

L’exposition «Get up, stand up!» réunit 400 affiches contestataires de la période 1968-1973 au MIMA, autour de causes toujours d’actualité. Même si le medium a changé: le support en briques a cédé la place au mur virtuel.


Journaliste et chroniqueur, Michaël Lellouche s’intéresse au graphisme et à la politique : des passions qui l’ont naturellement amené à l’esthétique contestataire. En 20 ans, il a ainsi rassemblé plus de 1600 affiches concentrées sur la période 1968-1973, issues de 30 pays. Un quart de sa collection a aujourd’hui investi les murs du MIMA (Millennium Iconoclast Museum of Art), installé dans les anciennes brasseries Bellevue.

Si l’affiche contestataire est depuis lors supplantée par les visuels partagés sur les réseaux sociaux, l’exposition souligne la récurrence des luttes : droits des minorités, féminisme, écologie… Des thèmes également nés autour du clash de Mai 1968. À Paris, les mouvements étudiants, suivis des ouvriers, manifestent contre le pouvoir gaulliste, le capitalisme, la société de consommation, l’impérialisme américain, la guerre du Vietnam. Ils ne sont pas isolés. Tchécoslovaquie, Grèce, Espagne, Mexique… « Ce mouvement de contestation est universel et dominé par une aspiration à plus de liberté, d’égalité, de dignité et de justice », souligne Michaël Lellouche. « Un peu partout dans le monde, la protestation monte en puissance vers 1966-1967 et le volcan se calme en 1973, quand l’armée américaine se retire du Vietnam. Même si d’autres événements pointent alors, comme l’arrivée de Pinochet au pouvoir, au Chili. »

Graphisme en série

Avec l’affiche, la société civile s’empare d’un médium de pouvoir. Grâce à la sérigraphie, les étudiants qui occupent l’École supérieure nationale des Beaux-Arts réalisent et tirent des centaines d’affiches par heure. « Étudiants et artistes inventent un langage visuel universel simple et concis, d’une force expressive inédite », relève le curateur. La violence y est aussi infusée par un humour et une esthétique étudiés. « Face aux messages gaullistes officiels, ils pourront enfin répondre spontanément, en fonctionnant en temps réel comme Twitter ou Facebook aujourd’hui. »

Le mouvement étudiant parisien, réprimé par les CRS s’éteindra avec la fin de l’année scolaire en juin 1968. Mais la révolte étudiante et son mode opératoire ont infiltré la planète, depuis Prague, lors de la répression sanglante du fameux Printemps, aux États-Unis, où l’opposition à la guerre du Vietnam s’intensifie en mai 1970 lorsque des étudiants se font tirer dessus. Certaines affiches seront même signées par des artistes engagés comme Tomi Ungerer, Milton Glaser, Richard Avedon, Paul Davis ou John Lennon.

L’étage du MIMA fait la part belle à des luttes plus ciblées qui ont conservé toute leur actualité. Une salle est dédiée à l’installation de la pièce historique « Frappez les gradés » (1969) de Julio Le Parc, où le visiteur est invité à se défouler sur des personnages imprimés sur des sortes de punching-balls. Renvoyant à l’usage du poing et à son iconographie récurrente dans le contexte donné. « Le coup de poing est la première arme de l’humanité et la main est ce qui donne, ce qui fait. » Plus loin, un espace se partage entre les luttes du Mouvement de libération de la femme, avec des slogans de type « Jesus was an only child » ou « Power to the penis » et celles des ouvriers agricoles mexicains et philippins, menées par César Chavez, qui invitent au boycott des raisins californiens.

Aujourd’hui, une affiche est postée via des centaines de visuels sur les réseaux sociaux. « Sa visibilité est énorme si l’on considère qu’environ 2 milliards de personnes sont connectées à Facebook et que chez les moins de 20 ans, le premier réflexe au réveil est d’allumer leur smartphone », poursuit Michael Dellouche. « Des images anonymes se retrouvent utilisées en masse, comme on l’a vu lors des attentats contre Charlie Hebdo avec une simple typo et 3 mots “Je suis Charlie”. Même chose lors des tueries à Paris, le 13 novembre, symbolisées par un dessin de Jean Jullien, qui détourne le signe Peace & Love et place en son centre une tour Eiffel. » Sur mur, papier ou écran : l’affiche est un totem, agrégateur de sens.