Du matin au soir, nos yeux, nos doigts, notre attention sont rivés vers un autre monde: le numérique. Le web, nos smartphones, tablettes, ordis et autres écrans, des outils prolifiques, un accès à tellement de choses que nous n’imaginons plus notre vie «sans». Une véritable révolution où les algorithmes donnent le ton, bouleversant nos sociétés et nos comportements, aussi profondément que le fit la révolution industrielle. Pour le meilleur et pour le pire?
Six heures du mat’, pas de frissons, mais des vibrations. Celles de mon smartphone, qui me dit que c’est l’heure de se réveiller. Coup d’œil côté applis : il fera beau aujourd’hui, les sandales sont de sortie. Je peux clairement déprogrammer la chaudière. Une touche et c’est fait ! Mon bras droit, mon smartphone, m’indique que le bus arrive dans 10 minutes. Je googlise les boulangeries que je croiserai sur mon chemin ce matin. Connectivité quand tu nous tiens ! Dans le bus, je me rends compte que je n’ai pas encore réservé les vacances et acheté un nouveau maillot à Zoé. Mon trajet servira d’ouverture sur le monde (autrement dit sur les sites web, marchands et non marchands) pour accéder aux besoins à combler. Là, tout de suite. Quel bonheur, non ? Que seraient nos vies sans ces nouvelles technologies ?
Je te donne, tu me donnes
Bizarre, en lisant ensuite mon quotidien favori – version web bien entendu –, une fenêtre surgit au milieu de la page des news, avec le maillot que je viens d’acheter à Zoé. Et alors que je prends des nouvelles de mes congénères sur Facebook, une autre pub me suggère des vacances de rêve. À croire que le web lit dans mes pensées, mes désirs… Et je ne crois pas si bien dire ! C’est du moins ce qu’affirment les grands spécialistes des nouvelles technologies. Des petites bêtes, des mouchards, joliment nommés cookies (biscuits), se glissent dans nos machines favorites et elles nous suivraient à la trace tout au long de notre voyage en webitude. Et même jusque dans nos boîtes Gmail, si si, vous pouvez me croire. « Ils » y récoltent des mots-clés qui viennent alimenter une sorte de profil, de carte d’identité de nos habitudes, de consommation de préférence. Pour nous envoyer de la pub censée anticiper nos désirs. La gratuité, ça a un prix ! Les outils sont mis à notre disposition gratuitement, contre nos (très chères) données, qui seront ensuite exploitées commercialement. Alors quand on nous dit que nous sommes désormais – et chaque fois plus – entourés d’objets intelligents, faut-il s’en réjouir ? Ne sommes-nous pas avant tout « fichés » ?
3,8 milliards d’humains surfant sur Internet produisent 2,5 quintillions d’octets par jour. Un véritable carburant pour les algorithmes.
Riches données
Car toutes ces applications ultra- et interconnectées laissent des traces. Sciemment. Outre les récoltes, à des fins marketing, effectuées par les propriétaires des sites sur lesquels nous surfons et des applications que nous utilisons, se pose la question de la gestion de nos données personnelles. Eurêka, depuis le 25 mai dernier est entrée en vigueur une législation qui, en très résumé, protège davantage les citoyens européens et les informe de la récolte et du stockage de leurs données. C’est le fameux RGPD (règlement général pour la protection des données). Un premier pas à saluer, même si cela n’empêche pas l’imagination des « récolteurs » et autres aspirateurs à données de trouver de nouvelles pistes pour obtenir nos si précieuses données. Quoi qu’il en soit, les fameux cookies, tout comme les logiciels ou applications de géolocalisation, sans oublier la manne d’informations personnelles que nous confions aux nuages, les fameux clouds qui nous permettent de stocker photos, vidéos, documents en tout genre, poursuivent leur petit bonhomme de chemin. Et les chiffres ont de quoi donner le tournis : 3,8 milliards d’humains surfant sur Internet produisent 2,5 quintillions d’octets par jour. Un véritable carburant pour les algorithmes, qui vaut de l’or.
L’inégalité du Net
Évidemment, n’oublions pas toutes les opportunités positives qu’apportent le numérique et le développement d’applications qui nous facilitent l’existence. Les datas peuvent même jouer un rôle important au niveau médical. Un praticien de la santé (médecin, spécialiste, pharmacien) qui a accès au dossier numérisé d’un patient peut davantage lui prescrire le bon traitement, en connaissant ses intolérances par exemple, grâce à une vision plus globale et complète de son dossier. Cela ouvre les portes à une médecine préventive, et personnalisée. Une logique applicable à d’autres domaines. Pour l’instant… Car actuellement, nous vivons encore dans une zone dite de neutralité du Net. C’est-à-dire que chaque citoyen qui souscrit un abonnement chez un fournisseur d’accès dispose du même accès au réseau. La neutralité du Net est l’un des principes fondateurs d’Internet. Mais aux États-Unis, ce sacro-saint principe est remis en question depuis juin dernier.
Conséquence : les internautes risquent d’être confrontés à des accès différenciés en fonction de ce qu’ils payeront. Le côté positif réside dans l’opportunité pour des entreprises de services de proposer une offre sur mesure à leurs clients, mais le négatif, c’est la couche supplémentaire de dimension mercantile qui s’ajoute sur le web, avec a fortiori le risque de renforcer les inégalités en fonction des capacités financières des internautes. Les inégalités réelles risquent ainsi de s’additionner à celles du digital.
La programmation des logiciels et de l’utilisation des algorithmes devient un cas de conscience.
Le web n’oublie jamais
En dehors de sa fonctionnalité pratique, le numérique a apporté de nouveaux usages, tant au niveau de nos vies privées que professionnelles. Facebook et consorts ont transformé nos rapports sociaux. Le courrier électronique exige une rapidité de traitement de l’information. Les applications de type Uber ont bouleversé la mobilité… Mais cela a également transformé notre rapport au monde : la viralité d’Internet et des réseaux sociaux en particulier nous confronte désormais à la vitesse de partage de l’information. Et, lorsqu’on n’y prête pas attention, à une forme de dessaisissement de notre vie privée. Car une fois posté sur le Net, il devient quasi impossible de contrôler le flux que suivra une information partagée par des centaines, voire des milliers de personnes. La réglementation sur le droit à l’oubli numérique, autrement dit la possibilité pour les citoyens européens de faire effacer des pages les concernant, constitue elle aussi une avancée en matière de protection des internautes. Mais cela n’effacera jamais totalement une photo ou une vidéo malencontreuse qui s’est déjà propagée à différents utilisateurs. Quand un jeune garçon interpelle le président français par un « salut Manu » familier, filmé et diffusé sur la toile, ce n’est pas seulement la honte d’un instant qui le frappe lorsqu’il se fait remettre à sa place en public par le président, c’est la France tout entière, et bien au-delà, qui ricane devant cet épisode à la base très banal.
Choix programmés
Enfin, n’oublions pas une autre facette de cette hyperconnectivité : la dimension sécuritaire. Les failles, piratages et autres hackings ou vols de données se sont multipliés ces derniers temps, mettant potentiellement les utilisateurs dans l’embarras. Les voitures sans conducteur, un exemple parmi d’autres du potentiel de développement des objets intelligents et connectés, sont sujettes à un débat sécuritaire et éthique qui pose la question des choix à définir en amont : en cas de choc face à un piéton, comment la voiture devrait-elle réagir et pour sauver qui ? La programmation des logiciels et de l’utilisation des algorithmes devient un cas de conscience. Du moins, pouvons-nous l’espérer.