Espace de libertés | Septembre 2018 (n° 471)

Des idées et des mots

Dans la famille Vercheval, je demande la fille, Véronique. Le père, George, est le bien connu créateur du Musée de la photographie de Charleroi ; quant à la mère, c’est Jeanne, la militante féministe de légende, fondatrice des Marie Mineur et du magazine Voyelles. C’est d’ailleurs dans ce périodique féministe aujourd’hui disparu que la toute jeune Véronique – elle n’a pas vingt ans – débute sa carrière de photographe-reporter. Après la mémoire de l’industrie et des mouvements sociaux pour le compte des Archives de Wallonie, Véronique Vercheval s’attelle à une œuvre autonome et originale en s’aventurant sur le terrain le plus concret : les usines, la rue, la route, les bidonvilles, les quartiers déshérités d’ici et d’ailleurs. Son « coup de diaphragme » fait penser à Doisneau ou à Cartier-Bresson mais aussi à Jeanloup Sieff et son fameux reportage dans le Borinage en grève de 1959. Beaucoup de noir et blanc, une incroyable façon de capter les atmosphères singulières, une manifeste proximité empathique avec les hommes et les femmes qu’elle saisit et qui lui font confiance ; voilà ce qui signe le travail de Véronique Vercheval. Car ce qui la motive, c’est de flairer les sinuosités de la vie qui, tel un fer rouge, marquent les personnes, trahissent leurs peines, leurs joies, leurs espoirs et leurs désillusions. Pour l’ouvrage qui vient de paraître et dont la réalisation s’est étendue sur une année entière, Véronique a suivi des travailleurs de rue dans sept pays aussi différents que la Belgique, la Roumanie, le Vietnam, Haïti, Israël et la RDC. Mais, curieusement, d’une rue à l’autre, d’un pays à l’autre, les personnes portraiturées se ressemblent. Mêmes regards, mêmes situations, mêmes environnements, mêmes sourires, mêmes inquiétudes. Le monde de la rue n’a ni frontière ni religion : il rassemble dans le même chaudron les cheveux blonds, noirs et gris. Y a-t-il une esthétique de la pauvreté ? On pourra se poser la question en plongeant dans ces clichés à la beauté paradoxale. Si ce n’est que ce qui est donné à voir n’est pas une mise en scène fictive : c’est la réalité, toute crue, toute nue, âpre et mordante. C’est cela aussi photographier : donner à regarder autrement ce qui se trouve pourtant au coin de notre propre rue et que nous ne voyons plus. (jph)