Espace de libertés – Octobre 2016

Bisexualité: l’entre-deux qui dérange


Dossier
La Maison Arc-en-Ciel de la province de Luxembourg fait partie des services proposés par la régionale luxembourgeoise du CAL. Elle propose des animations et un groupe d’entraide pour personnes persécutées dans leur pays en raison de leur orientation sexuelle et qui ont trouvé refuge en Belgique. Témoignage d’une personne qui aime à la fois les hommes et les femmes.

Je m’appelle Abdoul (1), je suis âgé de 28 ans, je suis un homme bisexuel. J’aime donc les femmes et les hommes. Je suis de nationalité burundaise, de religion musulmane et j’habite Bruxelles. Je suis fier d’être bisexuel, je vis ma vie tranquillement et je n’en fais pas un tabou: je pense que bisexualité est une orientation qui en vaut bien une autre.

Une adolescence burundaise

J’ai commencé à sortir avec des hommes quand j’avais 17 ans. Je fréquentais alors une école secondaire au Burundi où j’avais un ami homosexuel. Parce qu’il était efféminé, il était rejeté et insulté par tous les autres élèves qui n’aimaient pas être avec lui. J’étais son seul ami à l’école; je l’acceptais comme il était et je le comprenais même si à cette époque, je me considérais encore comme hétéro. Je ressentais pour lui un très grand sentiment d’amitié. Les autres élèves disaient parfois que j’étais son petit copain car nous étions proches. Il faut savoir que la société burundaise n’est pas du tout tolérante envers l’homosexualité.

Ostracisme et quête d’identité sexuelle

Un jour, on a organisé un pique-nique de fin d’études secondaires dans la province de Gitega située au centre du pays. On avait pris des chambres d’hôtel; une chambre pour deux personnes. Aucun élève ne voulait partager la chambre avec lui, je me suis donc dévoué. Le soir, on s’est rapproché et on a commencé à se toucher jusqu’à faire l’amour. Je me sentais très bien, comme si je l’avais fait avec une fille – car j’aimais beaucoup des filles! Mais en mon for intérieur, je me disais que c’était sans doute le fait d’avoir bu qui m’avait poussé dans ses bras. La société africaine est tellement intolérante par rapport à l’homosexualité, je ne pouvais pas être homosexuel! Après cette expérience, je me suis posé beaucoup des questions: « Suis-je gay? ou hétéro? » Cela ne nous a pas empêchés de rester amis. Et on a continué nos relations en cachette, mais mon regard sur lui avait changé: je me demandais si j’avais été frappé par la même « malédiction » que lui…

Ne pas choisir, une orientation à part entière

Dès mon arrivée en Belgique, j’ai eu une relation amoureuse avec un autre homme d’origine camerounaise prénommé Arnaud et, simultanément, avec une fille burundaise du nom de Mireille. J’avoue que je me sentais à l’aise d’être avec les deux en même temps, mais mes sentiments pour Arnaud étaient plus forts que ce que je ressentais pour Mireille. Je trouvais chez Arnaud l’affection que je ne trouvais pas chez ma petite amie.

J’ai finalement avoué à Arnaud que je sortais avec une fille. Il m’a expliqué que certaines personnes peuvent aimer les hommes autant qu’ils aiment les femmes. Je ne savais pas que cette orientation sexuelle existait! Je me considérais alors toujours comme un hétérosexuel, pas comme un homosexuel ni comme un bisexuel. Autre défi rencontré durant ces relations, obtenir l’assentiment de mes partenaires. Arnaud a admis que je sorte avec lui et en même temps avec une femme, mais Mireille a refusé: elle disait que si j’étais gay, je ne pouvais pas être bisexuel.

Aujourd’hui, j’accepte et je revendique ma bisexualité: je suis attiré à la fois par les femmes et les hommes. Si je suis avec un homme, je reste avec un homme et si je suis avec une femme, je reste avec une femme. Ce n’est pas du tout facile pour autant, car parfois je ressens l’envie d’être avec celui ou celle des deux qui n’est pas là… Il est très difficile de leur dire la vérité, car je risque de les perdre tous les deux.

La société nous considérant souvent comme des personnes indécises.

Pression sociale et religieuse

Révéler à notre entourage qui l’on est, faire son coming-out en tant que bisexuel n’est vraiment pas facile! On se heurte à l’incompréhension de ce qu’est la bisexualité, ce qui est d’autant plus vrai dans une famille africaine et musulmane. Même en Belgique, au sein de la communauté africaine, il y a beaucoup des personnes bisexuelles qui ne s’identifient pas comme telles. Mes amis ou les personnes de mon cercle de connaissance qui ont des relations avec des femmes et des hommes, et qui sont donc bisexuels, disent qu’ils le font à cause de l’alcool, des stupéfiants ou par manque de personnes du sexe opposé.

Dans le quartier Matonge à Bruxelles, par exemple, pendant la journée, les hommes africains parlent mal de l’homosexualité. Mais le soir venu, ce sont ces mêmes hommes qui se retrouvent dans les bars gay pour chercher des homos. Ils disent qu’ils sont hétéros, qu’ils aiment seulement la sodomie…

Parmi les problèmes que l’on rencontre quand on est bisexuel, selon moi, le premier est de trouver un.e partenaire qui accepte qu’on puisse être en couple avec un homme ou une femme. Vient ensuite le manque d’information sur la bisexualité. Et enfin le fait de ne pas être accepté par la société en tant que tel, la société nous considérant souvent comme des personnes indécises, qui ont toujours des doutes sur leur orientation sexuelle.

 


(1) Nom d’emprunt.