Les récents progrès en matière de médecine reproductive ont rouvert la porte à tous les fantasmes, dont celui de l’homme « enceint »… La grossesse du transsexuel Thomas Beatie a fait la une des journaux américains, tandis que plusieurs greffes d’utérus en Suède ont débouché sur la naissance d’enfants en bonne santé. Mais alors qu’en France, les PMA (1) sont toujours interdites pour les couples homosexuels, la frontière entre science et éthique est plus que jamais ténue. Rencontre avec Petra De Sutter, spécialiste des questions de reproduction.
En 2012, en Suède, neuf femmes se sont fait transplanter un utérus. Sept d’entre elles ont depuis un utérus parfaitement fonctionnel et cinq ont donné naissance à un enfant en bonne santé. Ces chiffres ont de quoi donner le tournis et raviver les espoirs les plus improbables. Ainsi, il suffirait désormais pour une femme trans de se faire implanter un utérus pour espérer un jour donner la vie? La question n’est pas si simple et relève encore de la science-fiction. D’abord parce que les greffes d’utérus s’adressent seulement aux femmes nées avec le syndrome de Rokitansky, c’est-à-dire sans utérus, ou ayant subi une hystérectomie suite à un cancer notamment.
« La médecine travaille dans une logique curative visant à soigner, rappelle le docteur Petra De Sutter. Et la greffe d’utérus est une opération extrêmement coûteuse, longue et délicate. C’est une opération qui dure plus de onze heures! Car pour que l’utérus transplanté soit en état de fonctionnement, il faut sauver tout l’appareil vasculaire, qui servira ensuite à maintenir l’embryon en vie. Dans le cadre d’une hystérectomie classique, on “coupe” les vaisseaux, puisque l’utérus ne doit plus être fonctionnel. La transplantation représente un risque majeur également pour la santé de la donneuse. Cette prise de risque ne se justifie donc pas médicalement de la même manière qu’une greffe d’un organe vital comme un cœur ou un foie. Celle-ci pose donc question pour la donneuse, par rapport à la pertinence médicale de l’acte chirurgical. Dans le cas de la Suède, parmi les donneuses, il y avait des mères des femmes transplantées, car l’utérus reste fonctionnel, quel que soit l’âge de la donneuse. Mais certains pays, comme la France et la Grande-Bretagne, préfèrent axer leur recherche sur la greffe au départ d’utérus de femmes décédées cérébralement, afin de limiter les risques. Cela dit, on n’en est encore qu’aux débuts de la recherche. » Et là aussi, les questions d’éthique ne sont pas loin: le temps que prend le transfert de l’utérus risque de compromettre la greffe d’autres organes vitaux. On est donc encore loin de scénarios d’hommes trans qui enfanteraient… même si, comme le relève Preta De Sutter: « Pourquoi pas, dès lors que l’on se place du côté des droits de l’homme, en imaginant que les greffes d’utérus soient moins chères, plus efficaces et plus sécurisée? »
Préserver le capital reproductif chez les trans
Aujourd’hui, devenir trans n’est plus synonyme de renoncement à tout espoir de fertilité.
Quant à l’aventure très médiatisée de Thomas Beatie, elle s’explique par le fait que le jeune homme trans avait gardé ses organes reproducteurs de femme. Pas de greffe, ni de miracle médical donc… Mais aujourd’hui, devenir trans n’est plus synonyme de renoncement à tout espoir de fertilité. C’est la raison pour laquelle Petra De Sutter, dans son service de médecine reproductive à l’hôpital de Gand, encourage tout candidat à la transition de genre de protéger son pouvoir de procréation. Le comité d’éthique de l’UZ Gent utilise d’ailleurs la conservation et l’utilisation du sperme de femmes trans depuis 2003. « Cette question de la conservation du capital de procréation est importante, insiste Petra De Sutter. Il faut pouvoir en parler avant les traitements hormonaux. Et aussi et surtout avant l’acte chirurgical, qui lui, rend tout définitif et irréversible. Dans les années 1990 déjà, je pratiquais régulièrement le prélèvement d’ovocytes chez les hommes trans et de sperme chez les femmes trans. Après, s’ils sont en couple hétérosexuel, ça leur permet d’avoir des enfants. » Car la seule prise d’hormones freine déjà le processus: chez les garçons, prendre des estrogènes et des inhibiteurs de testostérone diminue la production de sperme dès le début des traitements et de façon irréversible si c’est fait trop tôt dans la puberté.
Parent trans: l’avant et l’après
Les possibilités médicales sont donc multiples: via une insémination avec un donneur chez une partenaire femme, le trans-homme deviendra père et la trans-femme deviendra mère. Pour les couples lesbiens dont une des partenaires est trans, on peut utiliser le sperme congelé de la femme trans pour l’insémination. Ainsi, l’enfant du couple naît de ses propres parents biologiques. Mais si d’un point de vue médical, la fertilité est désormais accessible à certains couples trans, la société et l’éthique ne s’y retrouvent pas toujours. Et dans tous les cas, le parent trans aura recours au capital de procréation d’avant sa transformation et non après, ce qui peut être psychologiquement complexe. « Il y a beaucoup de littérature à ce sujet, résume Petra De Sutter. C’est aussi compliqué ensuite, car pour une femme trans, qui devient mère, ça remet en question son rôle de parent, si l’enfant a été fécondé grâce à son sperme. Mais je crois qu’il ne faut plus être dans une distribution des genres trop statique. Actuellement, on est plutôt dans un processus évolutif. » Une approche encore difficilement répandue qui se traduit par une législation encore trop rigide, où il faut passer par une opération chirurgicale complète pour changer de nom ou être reconnu légalement comme appartenant à un autre genre que celui de sa naissance.
La PMA, aussi une question de société
La problématique de la fertilité des trans se pose aussi en termes d’éthique. À l’UZ Gent, Petra De Sutter reçoit régulièrement dans son service des patientes lesbiennes qui souhaitent pratiquer une PMA: « En France, la loi n’autorise à recourir à la PMA qu’à condition d’infertilité pour raisons médicales. Mais un couple homosexuel ne pourra pas y avoir cours, puisque médicalement, les partenaires ne sont pas stériles. Ils ne peuvent pas procréer pour des raisons de choix de vie. On se retrouve donc dans un cadre social, où les couples ont le droit d’avoir des enfants mais ne peuvent pas recourir à des techniques médicales pour les aider, comme c’est le cas en Belgique, qui est assez avant-gardiste dans ce domaine. Du coup, des enfants de Françaises qui se sont fait inséminer en Belgique ne sont pas reconnus par la législation française, sous prétexte d’avoir été conçus illégalement. Mais là, on sort du débat éthique, on est carrément dans une violation des droits de l’enfant. »
De fait, la « transparentalité » peut poser question. « Pourtant, c’est une question très semblable aux questions d’homoparentalité, nuance Petra De Sutter. Il y a aussi les familles recomposées. On n’est plus dans la famille “nucléaire”. Toutes les études vont dans le sens de l’importance de l’ouverture, de la discussion, du non-conflit et de la non-discrimination. Une étude a été réalisée par le sexologue et psychiatre américain Richard Green, qui montre que le fait d’avoir un parent trans n’influence pas son développement. C’est surtout la violence et la discrimination qui font souffrir. En tant que représentante politique, je suis bien placée pour lutter contre les formes de discrimination. »
(1) Procréation médicalement assistée.