L’appel de la forêt, la quête du silence résonnent encore dans les rares organismes épargnés par la contamination pétrochimique. Face à l’agonie de Gaïa, certains humanoïdes multiconnectés refusent encore d’admettre la sanglante vérité. D’autres, dont l’ADN ne vibre qu’à un optimisme béat, creusent leurs méninges viciées par le cambouis afin d’inventer des technologies qui accentueront la fin qu’ils se promettent d’endiguer. Des tribus de médiums ont rappelé sur terre Michaux et Beckett afin que ces derniers leur transmettent une écriture qui dépeuple la planète des humains. De leur vivant, Michaux et Beckett ont préféré ne pas délivrer au monde leur idiolecte dévastateur, capable de transformer enfants, femmes, hommes, transgenres en molécules florales, nappes aquifères, arbres élancés, renards cendrés.
Même s’ils doutent de l’irréversibilité du processus, même s’ils craignent de possibles rétro-avatars du platane à l’homme, des néo-aèdes et des cryptobardes prônent la diffusion massive, par voies orale et écrite, de cette langue métamorphique. La quasi-totalité des cerveaux humains marinant dans le pétrole et les particules fines, il va sans dire qu’aucun référendum n’est possible. Protégés dans des bulles de verre synthétique des rayons solaires, de la fonte des glaces, d’un boom Celsius de quatre degrés, les derniers humanistes défendent le principe anthropique tandis que leurs adversaires s’affairent à envoyer aux quatre coins du monde les Fils du Rien, les dépeupleurs, Michaux et Beckett. Les accusations fusent, décapitant les humanistes: « Vous, les évangélistes de l’explosion démographique, complices de Monsanto, vous empoisonnez la planète bleue, lui décochez plus de maladies en deux siècles qu’elle n’en a connu depuis le précambrien. »
Il semblerait que, furieux d’être délogés de leur royaume des ombres, Michaux et Beckett refusent de prêter main-forte aux partisans de l’extrême. Qu’ils aient entonné, au milieu des loups, des tigres et des girafes survivants, un « Dépeuplez-nous tout ça! », relèverait de la légende. Tout laisse accroire que Gaïa va se charger elle-même de la conversion des prédateurs labellisés humains en ours polaires, en nénuphars. Il n’est nul besoin d’envoyés du ciel ou des ténèbres. Gaïa a mis en marche son Big Bang défensif, son art de la survie, aidée en sa tâche par la faune, la flore, le règne minéral, l’énergie de la lumière fossile, les électrons sauvages de la liberté cosmique.