Espace de libertés – Octobre 2016

Écosse: les mariages laïques ont le vent en poupe


International
Édimbourg, le 17 août 2016: le plus grand quotidien d’Écosse, « The Scotsman » annonce: « Kirk weddings now outshone by secular ceremonies » (1).Traduction: les mariages laïques volent la vedette à l’Église. La nouvelle est aussi surprenante qu’agréable à lire.

En 2015, pour la première fois, l’Écosse a vu se célébrer plus de mariages laïques (2) que de mariages sous l’égide de la championne incontestée jusqu’alors: la Church of Scotland, l’Église protestante presbytérienne d’Écosse.

Les laïcités de Sa Majesté

Nul besoin d’être expert en droit constitutionnel pour savoir que le Royaume-Uni est un État singulier dont le fonctionnement diffère grandement de la plupart des systèmes politiques européens. Absence de Constitution écrite, absence de carte d’identité, interdiction de procéder à des contrôles d’identité sans motif précis, un système judiciaire unifié pour certaines branches et régionalisé pour d’autres: le Royaume-Uni se distingue à bien des égards des traditions constitutionnelles – aussi diverses soient-elles – de ses voisins continentaux.

Et la religion ne fait pas exception: le Royaume-Uni possède une religion d’État, la Church of England dont la gouvernante suprême n’est autre que Sa Majesté la Reine en personne. L’Église se voit réserver 26 sièges (sur 796) de la House of Lords, le Sénat britannique. En revanche, la Church of Scotland ou Kirk pour les intimes ne bénéficie que du statut d’»Église nationale», lui garantissant certes une entière indépendance mais aucune place au Sénat.

Conséquence de ce lien particulier entre État et Églises – chers lecteurs et lectrices, accrochez-vous–: au Royaume-Uni, nul besoin de mariage civil pour faire reconnaître son union par l’État. Une cérémonie religieuse tenue par un prêtre habilité fait l’affaire. Les non-confessionnels, quant à eux, peuvent se tourner vers la mairie pour contracter un mariage civil.

Que l'on porte jupe, kilt ou pantalon: on a les idées larges en ÉcossesUn royaume pas si uni que ça

Là où l’histoire se complique, c’est que cette règle est valable uniquement en Angleterre et au Pays de Galles. En Écosse, une troisième catégorie existe: le belief marriage ou « mariage de conviction » qui n’est ni religieux, ni civil. Se calquant sur le droit à la « liberté de religion ou de conviction » garantissant le droit à chacun d’orienter sa vie et ses choix suivant des croyances religieuses, non-confessionnelles ou sans croyance, le système écossais permet de célébrer son union au sein d’une cérémonie religieuse, laïque (conviction autre que religieuse) ou civile (administrative). Dans cette nomenclature, le mariage laïque fait partie de cette deuxième catégorie des « mariage de conviction ».

Mais cela n’a pas toujours été le cas. Gary McLelland, directeur Communication et Politique de la Humanist Society Scotland (3) (HSS), nous explique: « L’Écosse dispose d’une longue tradition de cérémonies non-confessionnelles, longtemps perpétuée par les communistes qui, à défaut de mariages –ceux-ci étant réservés à l’Église– célébraient des funérailles laïques. »

Or, en 2005, admettant qu’il existait une violation de la liberté de religion ou de conviction puisque seuls les religieux étaient autorisés à célébrer des unions, l’Office écossais de l’état civil décide, par voie de décret administratif, d’inclure les mariages laïques dans la catégorie des mariages religieux. « Si cette décision avait dû passer par le Parlement, elle aurait été rejetée pour sûr », nous confie le directeur. Il faudra attendre 2014 et la loi écossaise établissant le mariage pour tous pour que cette troisième catégorie de « mariage de conviction »soit créée.

Ni religieux, ni civil: quid du mariage laïque?

Lorsque l’on demande à Gary McLelland d’expliquer ce qui caractérise le mariage humaniste, sa réponse est simple: c’est le uniqueness. Autrement dit, son aspiration à s’adapter aux croyances, valeurs, goûts et envies du couple pour créer une cérémonie sur mesure dont le déroulement ainsi que le sens sont décidés par le couple en collaboration avec le célébrant. Au lieu de se marier au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ou du Code civil, ils se marient au nom d’une histoire commune, d’un vécu qu’ils veulent raconter par cette union. « Lors d’un mariage laïque, il n’y a pas qu’un seul livre dont on peut lire les extraits« , plaisante Gary McLelland. Et d’ajouter que « le mariage laïque est ouvert à tous ceux qui désirent célébrer leur union hors du cadre religieux mais par une cérémonie plus chargée de sens qu’un simple mariage à la mairie ».

Au lieu de se marier au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ou du Code civil, ils se marient au nom d’une histoire commune.

Et ça marche! Alors qu’en 2005, 82 unions étaient célébrées, en 2015, c’est plus de 120 officiants qui se sont chargés de 4 290 cérémonies, soit plus que les 4 000 tenues par la Kirk la même année. Travaillant en free-lance, ces « célébrants » sont affiliés à la HSS qui, en échange d’une commission de 10% sur leurs honoraires (4), décerne les licences, organise des formations et propose un moteur de recherche permettant de trouver un officiant proche de son domicile. « Il ne s’agit pas vraiment d’un combat idéologique, nous explique le représentant de la HSS. En Ecosse, il existe une réelle demande; nous nous efforçons d’y répondre au mieux. »

Au-delà du mariage

Mais la HSS ne s’arrête pas là: outre les mariages, elle propose des cérémonies de funérailles ainsi que de parrainage permettant, tout comme le baptême chrétien, de célébrer la venue d’un nouveau-né. En outre, de par sa nature non-confessionnelle, la cérémonie laïque est à disposition des minorités dont l’Église refuse de célébrer les grandes étapes de vie. « Il s’agit souvent de mariages de couple homosexuels, mais nous avons déjà organisé des célébrations marquant le passage d’une personne d’un sexe à l’autre », commente Gary McLelland.

Quand on lui demande ce que l’avenir réserve, il nous explique que la HSS voudrait élargir ses services laïques au domaine du soutien moral en milieu hospitalier ou carcéral ainsi qu’un jour s’attaquer à un grand chantier en friche au Royaume-Uni: la laïcisation des écoles. Nous lui souhaitons, à lui ainsi qu’à son organisation, bonne chance dans cet important travail et lui donnons rendez-vous au prochain grand titre qui fera la une des journaux.

 


(1) « Leaders: Humanists offer choice in a rapidly changing world », mis en ligne le 17 août 2016, sur www.scotsman.com.

(2) Le terme « laïque » se traduisant par humanist en anglais, les Écossais parlent de humanist marriage, NDLR.

(3) La Humanist Society Scotland est la plus grande organisation d’Écosse œuvrant pour la promotion de la laïcité. Elle est membre de la Fédération Humaniste Européenne à laquelle le CAL est également affilié.

(4) Cette activité a permis à l’organisation de récolter près de 200 000 livres l’année dernière.