Espace de libertés – Octobre 2016

Libres ensemble
Être prisonnier en Belgique, c’est être envoyé dans un territoire inconnu, parfois surpeuplé, insalubre ou dangereux, dont il faut connaître les règles. Un guide pratique accompagne les détenus et leurs proches.

Qu’est-ce qu’une chambre des mises en accusation? Comment conserver des relations intimes avec son conjoint en prison? Combien de paires de chaussettes peut-on emporter? La détention, comme le voyage, suppose d’être bien informé. Mais « qui aujourd’hui serait capable d’expliquer précisément le fonctionnement de nos prisons, la vie qui s’y déroule, les droits et devoirs de tous ceux qui, à un titre ou à un autre, y séjournent? », s’interroge le nouveau Guide du prisonnier. « Personne, constate-t-il, à commencer par les premiers concernés: les détenus. »

La Ligue des droits de l’homme (LDH) et la section belge de l’Observatoire international des prisons (OIP) voient dans ce manque de transparence un déni de démocratie. Plus de 11 000 personnes sont incarcérées en Belgique, ballottées au gré des circulaires, bousculées par les changements de règlements, perdues face à une loi, votée en 2005 pour régir la vie en prison mais entrée en vigueur au compte-gouttes. Face à cette purée carcérale, les deux associations ont lancé le projet d’une deuxième édition du Guide du prisonnier en Belgique, la première datant de 2002. Ce nouvel ouvrage collectif a été rédigé par une équipe de juristes, criminologues, enseignants, avocats, psychologues et membres de commissions de surveillance. Ces auteurs bien informés (mais qui ont du mal à se défaire d’un style « juridique ») s’adressent aux détenus et à leurs proches, ainsi qu’à tous ceux qui gravitent autour des prisons: avocats, travailleurs sociaux, médecins, aumôniers, conseillers moraux, visiteurs, personnel pénitentiaire, etc. Les auteurs précisent: il s’agit d’un ouvrage d’information pratique et non d’une analyse critique du système carcéral. Mais, en la matière, même une simple description des faits peut être lourde de critiques.

La case prison

Recevoir un mandat d’arrêt signifie qu’on est provisoirement privé de liberté. En Belgique, cela peut vouloir dire aussi qu’on est « condamné » à la précarité matérielle, à la promiscuité, voire à un retour au siècle dernier. Prenons le cas du régime de détention en maison d’arrêt. Le Guide nous rappelle que « la règle devrait être l’emprisonnement individuel de jour et de nuit«  et que, en théorie toujours, « les prévenus doivent être séparés des condamnés« . En pratique, les prévenus (en détention préventive) côtoient les condamnés et les cellules simples deviennent facilement doubles ou triples.

Pour les détenus censés être accueillis dans des établissements de défense sociale, la situation est encore plus préoccupante. « Le nombre de places en défense sociale est extrêmement limité. Cela signifie que de nombreux détenus (jusqu’à 10% de la population carcérale) sont internés au sein des annexes psychiatriques des établissements pénitentiaires. Ces dernières sont totalement inadaptées à l’accueil de ces personnes, les soins les plus basiques n’étant pas prodigués et les traitements inhumains et dégradants y étant monnaie courante, ce qui a déjà entraîné un nombre considérable de condamnations de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme.« 

Dans ses deux premiers chapitres, « Entrer en prison » et « Être jugé », Le Guide du prisonnier passe en revue toutes les interrogations que pourrait avoir un détenu sur la détention préventive, le dossier répressif, l’instruction, l’audience, les peines et les recours. À la question « Peut-on plaider coupable?« , les auteurs nous apprennent par exemple qu’il existe une nouvelle procédure « de reconnaissance préalable de culpabilité », récemment introduite en droit belge, et qui permet, sous certaines conditions et en cas d’aveux, de bénéficier d’une peine inférieure.

Vivre derrière les barreaux

Le troisième chapitre de l’ouvrage répond aux questions pratiques qui concernent la vie quotidienne en prison. Un règlement d’ordre intérieur élaboré par le service public fédéral Justice définit les droits et les obligations des détenus pour toutes les prisons belges. Mais avec les règlements qui diffèrent d’un établissement à l’autre, la surpopulation, le manque de personnel ou la vétusté des locaux, il devient aussi difficile d’expliquer dans le détail ce qui attend un futur détenu que de présenter la sixième réforme de l’État à un touriste taïwanais.

A priori, on peut supposer que sa cellule ne dépassera pas 9m2; qu’elle sera aérée et équipée de sanitaires. Mais, dans certains cas, il pourrait aussi tomber sur une cellule sans eau courante, où la toilette se résumera à un seau joliment appelé « hygiénique ». Il ira à la douche entre une fois par semaine et une fois par jour. Il devrait, si tout va bien, avoir un lit. Mais, s’il se retrouve à partager une cellule avec deux autres détenus, il devra peut-être se contenter d’un matelas posé à même le sol. Le détenu pourra sans problème posséder des lunettes de soleil non réfléchissantes, un agenda non électronique, 10 photos, cartes ou posters, un réveil, 20 timbres, 10 livres et 10 CD ou DVD. Dans certains cas, il pourrait obtenir, louer ou acheter un frigo, un ordinateur, un walkman ou un discman. Notez cependant que « les objets électriques peuvent être refusés si l’installation électrique de l’établissement ne peut les supporter« .

À Lantin, l’appel se fait à 6h20 et l’ouverture des cellules à 6h30. Le week-end, c’est grasse matinée: 7 heures. Les cellules sont fermées à 21 heures. Entre les deux, la vie des détenus se partage entre les préaux, le téléphone, les visites médicales, les douches, les repas. Le Guide passe en revue toutes les questions liées aux visites, aux études, à la santé, au sport, à la souffrance.

Faire valoir ses droits

À l’exception de la liberté d’aller et venir, le détenu devrait conserver l’ensemble des droits qui sont accordés aux citoyens libres

« En principe, à l’exception de la liberté d’aller et venir, le détenu devrait conserver l’ensemble des droits qui sont accordés aux citoyens libres », rappellent les auteurs du Guide. Mais, constatent-ils, « le maintien et le respect de l’ordre sont sans cesse invoqués pour restreindre l’exercice effectif de nombreux droits individuels et pour empêcher la mise en œuvre de droits collectifs, comme la liberté d’association et la liberté de syndicalisation« . À force de mettre le doigt là où ça cogne, le Guide du prisonnier, qui se voulait purement informatif, finit par remplir un rôle autrement salutaire: lister les maladies de ce vieux croulant qu’est notre système carcéral. Et espérer qu’on puisse, au plus vite, lui refaire une santé.