Espace de libertés – Octobre 2016

Européens, encore un effort!


Dossier
Le chemin de l’égalité de statut et de traitement des LGBTQI+ est encore long mais des lueurs d’espoir apparaissent dans plusieurs pays de la « grande Europe ». Cependant, les changements législatifs restent fragiles et peuvent à tout moment être remis en cause. Ou, tout simplement, rester lettre morte.

Quels points communs il y a-t-il entre l’Irlande et Malte? Jusqu’il y a peu ces deux petites îles amarrées aux confins du continent européen, et longtemps corsetées dans une profonde culture catholique, avaient comme réputation d’être à la traîne dans certains domaines emblématiques comme celui des droits des homosexuels. Mais en 2015, Malte et la république d’Irlande ont effectué un spectaculaire rétablissement et ont toutes deux modifié leur législation pour se placer – dans le cas de Malte en tout cas – au premier rang des pays européens les plus libéraux.

Une amélioration sensible de la situation

Vous avez dit « miracle »? En tout cas, ce qui est certain c’est que le travail opiniâtre des mouvements LGBTQI+ a porté ses fruits lorsque le Gender Identity, Gender Expression and Sex Characteristics Act (1) a été adopté à l’unanimité par le Parlement maltais en avril 2015. Grâce à cette loi presque unique au monde, les transgenres n’ont plus l’obligation de subir une opération chirurgicale de réassignation pour pouvoir modifier leur certificat de naissance et leurs papiers officiels. Par ailleurs, les parents d’enfants intersexués peuvent désormais différer la détermination du genre dans le certificat de naissance. Une disposition qui permet d’éviter les mutilations génitales irréversibles. En Irlande, à deux mois d’intervalle, le Parlement a légiféré sur le mariage gay et le changement d’état civil des trans (2). Une évolution inimaginable il y a seulement quelques années mais qui a été rendue possible par un référendum populaire à l’issue duquel plus des deux tiers de la population se sont prononcés en faveur de l’ouverture. En Irlande, les personnes de plus de 18 ans peuvent désormais changer leur état civil sur simple déclaration. Cette loi est le fruit d’un long combat qui a commencé en 1993 avec le cas du Dr Lydia Foy. Née dans un corps de garçon, cette dentiste aujourd’hui âgée de 68 ans s’était heurtée au refus de l’administration de changer son état civil, après avoir changé de sexe.

Ailleurs aussi, toujours en Europe au sens large, de nombreuses avancées se sont concrétisées ces dernières années. Au Grand-Duché de Luxembourg, depuis le 1er janvier 2015, les couples de même sexe peuvent se marier et adopter légalement. La Grèce et Chypre, où le clergé orthodoxe, en l’occurrencea pourtant longtemps terriblement pesé sur les législations en vigueur, se sont dotés récemment d’un « pacte civil ». Au Portugal, l’adoption a été ouverte aux couples homosexuels en février 2016, grâce à vote acquis à la majorité absolue qui a permis de contourner le veto du président (conservateur) Anibal Cavaco Silva.

Cartographie des droits LGBTQI+: une Europe à plusieurs vitesses

Le tableau est cependant loin d’être aussi idyllique partout. Dans d’autres pays, beaucoup de blocages perdurent et, dans certains cas, c’est parfois même à une régression à laquelle on a assisté ces dernières années. C’est ainsi qu’en Suisse, Slovaquie et en Slovénie, des référendums ont débouché sur des votes négatifs et ont bloqué pour longtemps toute évolution de la législation.

De façon générale, et sans tenir compte de certains cas particuliers comme la Suisse, se dessine une « cartographie des droits » en Europe. En fait, la dégradation des droits s’accentue à mesure que l’on regarde vers l’est et le sud. À part l’exception de taille de Malte qui s’est récemment hissée d’un seul coup en tête du peloton européen, les bons élèves se trouvent généralement à l’ouest et dans le nord. Belgique, Grande-Bretagne, Norvège sont les champions. Les pires sont l’Arménie, la Russie et l’Azerbaïdjan. En Arménie, par exemple, à l’occasion d’un référendum sur certaines modifications de la Constitution, le mariage a été redéfini légalement comme l’union d’un homme et d’une femme, à l’exception de tout autre cas de figure.

Dans de nombreux pays d’Europe, l’espace laissé aux organisations de la société civile se rétrécit comme peau de chagrin.

Mais l’une des évolutions les plus préoccupantes concerne la manière dont, dans de nombreux pays d’Europe, l’espace laissé aux organisations de la société civile telles que ONG, mouvements de citoyens, organisations militantes, etc. se rétrécit comme peau de chagrin. Dans de nombreux cas, les gouvernements s’emploient en effet à ériger des barrières administratives de plus en plus contraignantes pour empêcher ces associations de s’exprimer. C’est le cas notamment de la Russie où la plupart des groupes LGBTQI+ ont été visés par les lois « antipropagande » édictées ces dernières années. Toute association recevant d’une manière ou d’une autre un appui de l’étranger est obligée de se déclarer « agent de l’étranger » et, comme telle, est soumise à des tracasseries administratives sans fin. Dans certains cas, elles peuvent même être carrément forcées de mettre la clé sous le paillasson. Quant aux agressions physiques et verbales contre les personnes LGBTQI+, elles se multiplient dans le pays sans que les autorités réagissent.

Du « gay bashing » au meurtre

La question des violences homophobes reste d’ailleurs très préoccupante et pas qu’en Russie. L’Azerbaïdjan, la Moldavie, la Géorgie et, dans une moindre mesure, la Grèce sont des pays où des crimes de haine touchant les LGBTQI+ sont encore beaucoup trop courants et restent très souvent sans suites judiciaires. Sous ce rapport, la Turquie se distingue malheureusement encore un peu plus. Les crimes contre des homosexuels notoires ou des militants de la cause LGBTQI+ s’y sont multipliés ces derniers temps comme l’atteste l’assassinat en août dernier de Hande Kader, une jeune transgenre de 22 ans et dont le corps a été retrouvé calciné sur le bord d’une route à Istanbul. Hande Kader était une militante LGBTI+ et une figure de la Gay Pride, souvent vue aux manifestations défendant les droits des homosexuels. Quelques jours plus tôt, le corps décapité et atrocement mutilé d’un réfugié syrien homosexuel, Muhammed Wisam Sankari, a été retrouvé dans le centre de la même ville.

À travers ces tristes exemples, l’on voit combien les acquis engrangés ici ou là sont certes précieux mais ne rendent compte que très imparfaitement de l’évolution de la situation à une plus large échelle. Les contrastes restent violents et les régressions toujours possibles. De même, les « bonnes pratiques » en la matière ne sont ni contagieuses, ni automatiques et les pays vertueux ne sont pas nécessairement imités chez leurs voisins. Bref: Européens, encore un effort!

 


(1) Loi sur l’identité de genre (GIGESC) votée.

(2Gender Recognition Bill. En français: loi sur la reconnaissance du genre.