Espace de libertés – Mai 2017

Dossier
L’importance des mots et des concepts dans les débats éthiques ne fait aucun doute et s’il peut être question de jeux de langage, ceux-ci sont loin d’être innocents.

Loin de la neutralité éthique nécessaire, l’appellation « bébé éprouvette » ramène l’individu à un matériel de laboratoire et celle de « mère porteuse » réduit la femme à un instrument logistique. Les termes et la manière dont une question est posée fixent donc déjà la position adoptée. La question de l’euthanasie n’y échappe évidemment pas. D’autant moins que le terme « euthanasie » lui-même a été largement détourné de son sens au début du XXe siècle et qu’il l’est encore aujourd’hui par certains.

Gardons à l’esprit qu’’euthanasie’ signifie mort douce, non violente, choisie, accompagnée.

L’étymologie d’un mot, même si elle ne fait pas, à elle seule, of ce d’explication ni de preuve, ne peut être ignorée. La notion de mort douce – eu
thanatos – est déjà évoquée dans l’Antiquité notamment par des auteurs comme Posidippe ou Suétone. Mais c’est à Francis Bacon (1) que l’on doit sa conceptualisation dans le cadre de la pratique médicale. L’idée d’une aide médicale pour mieux mourir est donc ancienne. Il est donc faux, et même mensonger, de réduire le terme à ce qu’une idéologie, violente et liberticide, en a fait pour exécuter ses sombres desseins. De plus, n’en retenir que cet usage résonne comme un mépris envers les victimes du processus nazi. Gardons à l’esprit qu’ »euthanasie » signifie mort douce, non violente, choisie, accompagnée.

C’est exactement ce qu’encadre la loi belge

La loi de 2002 ne permet pas tout. Et certainement pas ce que ses détracteurs prétendent lorsqu’ils affirment qu’elle donnerait aux médecins le « droit de tuer ». Faut-il rappeler qu’en l’espèce, les médecins font tout pour reculer une échéance inéluctable par ailleurs; mais pas à n’importe quel prix. L’euthanasie ne se résume pas au geste mais, au contraire, c’est un processus qui s’établit en relation entre un patient et son médecin, dans la confiance et le respect.

L’euthanasie est la certitude qu’une aide sera apportée au moment venu et choisi.

Même si certains l’affirment, l’euthanasie n’est pas une demande d’aide au suicide ni un suicide déguisé. Il suffit d’écouter les patients pour bien saisir la différence qu’ils font eux-mêmes. Même si l’issue est identique, l’élaboration et la construction obéissent à des valeurs fort différentes. L’élément majeur à distinguer est celui du rapport à la vie et à autrui. Même si la mort n’est jamais étrangère à la condition humaine, la manière dont elle survient peut être éminemment variée. L’euthanasie est la certitude qu’une aide sera apportée au moment venu et choisi, tandis que le suicide relève d’un choix irrépressible d’en finir avec la vie, le plus souvent dans une rupture violente de relation. C’est dans leur élaboration et le processus qui l’accompagne que suicide et euthanasie sont éminemment différents.

Vous avez dit « transgression »?

Certains opposants à l’euthanasie considèrent le suicide comme plus moral ou plus éthique que l’euthanasie… On voit par là qu’il est possible de détourner un concept de son sens premier et de le rabattre sur un autre, fondamentalement différent mais appréhendé avec une valeur nettement orientée. Mais d’autres termes s’invitent dans le débat comme celui de « transgression » ou de « pente glissante ». Dire que l’euthanasie relève de la transgression de l’interdit de tuer est un leurre sémantique et intellectuel parce qu’en se plaçant sur le terrain des interdits, le geste ne peut plus être abordé avec la sérénité qui convient. Du reste, il n’y a transgression que si on se positionne dans le champ des convictions. Mais considérer qu’aider un patient en souffrance inapaisable en lui garantissant une mort douce est un assassinat est un mépris du vécu de la personne mais, surtout, relève d’une volonté de culpabiliser les acteurs. Il serait d’ailleurs utile de rappeler que la médecine est par essence dans la transgression: administration de poisons, plaies et mutilations volontaires, violation de la vie privée et de l’intimité… Si l’euthanasie peut être assimilée à une transgression, c’est dans la mesure où elle permet de refuser une agonie ou d’éviter une mort non choisie. On est bien loin de ce qu’affirment les opposants mais ils n’en sont pas à une erreur près.

« Pente glissante »?

Quant à l’argument de « la pente glissante », il est utilisé systématiquement pour empêcher tout développement ou toute évolution. Il participe de l’heuristique de la peur et c’est sans doute le plus mauvais argument qui soit. Avancé pour condamner par avance la loi belge, il montre d’emblée ses limites et son inadéquation. Selon cet argument, en effet, la loi de dépénalisation sous conditions ouvrirait de proche en proche la voie à d’épouvantables abus et entraînerait une épidémie d’actes accomplis dans des situations de moins en moins précises. D’abord, on comprend mal comment une loi qui n’oblige personne infligerait une dérive dans la pratique comme l’ont démontré déjà les faits et les chiffres. Et puis, quand on sait que poser un acte d’euthanasie est éprouvant, comment pouvoir imaginer que les médecins perdraient tout sens moral en s’engageant sur une voie hors de contrôle? Là encore, après quinze années d’application de la loi, force est de constater que rien de tout cela n’a eu lieu.

Faut-il « décoder »?

Terminons par une autre curiosité qui consiste à dire qu’il faut « décoder » la demande d’euthanasie. Cela sous-entend que le patient exprimerait en réalité une volonté cachée, contraire à ce qui est dit explicitement. C’est assez singulier comme attitude que de transformer la demande en un jeu de cache-cache et la personne en un dissimulateur, voire un manipulateur. S’il est évidemment utile de s’enquérir des motivations du patient, c’est surtout pour rendre compte de la singularité biographique en présence et non pour ériger des barrières face à la demande. Il existe, c’est un fait, ce qu’il convient d’appeler une défense perverse de la part de certains soignants qui estiment que, puisque le message est codé, il est forcément faux. En parlant de transgression, de pente glissante ou de message codé, on risque bien de stigmatiser les patients et, en fin de compte, de les déposséder de leur souhait. Le débat éthique ne relève pas de la démagogie mais du donné à penser et c’est ce que la situation belge permet depuis au moins quinze ans.

 


(1) Philosophe et scientifique anglais XVIe-XVIIe siècle.