Geert Wilders n’a pas gagné les législatives néerlandaises du 15 mars. Mais le populisme n’est pas mort pour autant. Et si ce n’était que partie remise?
Un soulagement, d’abord. En emportant « seulement » 20 sièges sur 150, le 15 mars dernier au Parlement de La Haye, Geert Wilders n’a pas réussi à faire des Pays-Bas les champions du populisme. Le Premier ministre sortant Mark Rutte et les siens ont emporté 33 strapontins, confortant par la même occasion la première place des libéraux du VVD (1) sur la scène politique néerlandaise.
Se satisfaire de ce constat serait toutefois aller un peu vite en besogne. Car s’il n’a pas tout écrasé sur son passage, s’il est resté en dessous de son score de 2010, Geert Wilders a tout de même fait de son Partij voor Vrijheid (PVV) le second parti batave. Dans le même temps, le VVD de Mark Rutte perdait huit sièges alors que les travaillistes de Lodewijk Asscher s’écroulaient (9 sièges contre 38 en 2012). Partout, y compris à Rotterdam où le maire travailliste Ahmed Aboutaleb s’astreint à coopérer avec les populistes de Leefbaar. Comme le tweetait un journaliste flamand, « les partis gouvernementaux ont reculé de 47 % alors qu’au même moment les populistes ont augmenté de 33% ». Fameuse nuance…
Des vases communicants aux multiples raisons
Côté vainqueurs: Mark Rutte est un pragmatique. Il a réussi à « construire des ponts » avec les travaillistes du Partij van de Arbeid (PvdA) durant les quatre dernières années, mettant aux rancards les différends qui séparent traditionnellement la droite de la gauche. Il s’est accroché à une politique de rigueur, assainissant les finances publiques et ramenant le chômage aux alentours de 5%. Son gouvernement a mis un terme aux lourdes hypothèques qui pesaient sur la santé économique du pays il y a quelques années encore. Rutte a fait ce qu’il avait promis et accompli l’exploit de boucler une législature complète avec son second cabinet.
Côté vaincus: si la Bourse a apprécié l’action du gouvernement Rutte II, la base électorale du PvdA s’est fatalement sentie trahie. Le parti travailliste paie le prix fort d’une coalition avec les libéraux devenue pour bien des électeurs synonyme de « collaboration », au sens péjoratif du terme. Beaucoup d’entre eux estiment qu’ils ont fait les frais du retour à la stabilité économique. Les classes ouvrière et moyenne ont ainsi vu disparaître nombre d’emplois stables au profit d’une flexibilité et de son cortège de jobs précaires. Elles ont enduré au cours des quatre dernières années des coupes sociales taillées à la hache, notamment dans les soins de santé.
Résultat: aux aux États-Unis, l' »homme blanc fâché » exprime son ressentiment en tournant le dos aux partis traditionnels. À Rotterdam comme à Detroit, des usines ont fermé pour délocaliser leur production dans le Sud-Est asiatique. Des entreprises néerlandaises comptent aujourd’hui une majorité de travailleurs de l’Est, prêts à s’activer plus de 70 heures par semaine tout en coûtant 10% moins cher au patron.
Ce « boze witte man (2) » a besoin d’un crachoir. Il n’a pas oublié qu’en 2012 déjà, Geert Wilders avait ouvert un site web pour permettre aux Néerlandais de vomir leur bile sur les Roumains et les Polonais « voleurs de travail ». Une partie des électeurs travaillistes ont donc versé dans le camp populiste. Ils s’inscrivent ainsi dans la tendance lourde qui, depuis une vingtaine d’années, un peu partout en Europe, voit les ouvriers fuir les partis sociaux-démocrates pour rallier la droite radicale, voire extrême.
D’autres populistes à la fête
L’islamophobe Geert Wilders n’est pas seul à parier sur la colère. D’autres partis populistes ont également profité du scrutin du 15 mars pour gagner en importance. Comme le Forum voor Democratie (xénophobe), Denk (des Turcs pro-Erdoğan) ou encore 50Plus, un parti dédié aux retraités. De leur côté–et c’est là une victoire indirecte des ennemis des partis traditionnels –, les chrétiens-démocrates du CDA (3) ont assumé une partie du discours de Wilders au cours de la campagne électorale.
Ni travaillisme ni populisme
L’optimiste retiendra que si les électeurs de gauche ont massivement déserté la social-démocratie,une partie d’entre eux s’est en revanche engagée dans une sorte de « troisième voie ». Ni travaillisme ni populisme: ils ont confié leurs votes à des formations politiques de seconde ligne. Jesse Klaver, qui s’est opposé directement à Geert Wilders et à son discours anti-immigration, a réussi ainsi à tripler le score des Verts (4), notamment grâce au vote des millennials (5). Les chrétiens-démocrates du CDA et les sociaux-libéraux du D66, chacun 19 sièges, ont tiré parti du mécontentement engendré au centre par la politique de rigueur du second cabinet Rutte.
Geert Wilders depuis les travées de l’opposition, pèsera lourd sur l’agenda national et européen du troisième gouvernement Rutte.
C’est donc à une fragmentation inédite du paysage politique néerlandais que l’on assiste. Traditionnellement, libéraux, travaillistes et chrétiens-démocrates ne laissaient que des miettes aux autres partis. Aujourd’hui, une demi-douzaine d’autres formations peuvent s’inscrire utilement dans une coalition gouvernementale, sans être condamnées à y jouer les faire-valoir. Or qui dit multiplication des partenaires gouvernementaux dit aussi multiplication des dissensions.
C’est dans cette brèche que tentera de s’insinuer Geert Wilders au cours des prochaines années. Depuis les travées de l’opposition, il pèsera lourd sur l’agenda national et européen du troisième gouvernement Rutte. Certains analystes estiment déjà que, sous sa pression, les Pays-Bas pourraient être à leur tour tentés par un « exit » européen. Traditionnellement, les Néerlandais estiment qu’il ne peut y avoir de construction européenne sans la Grande-Bretagne. Le Brexit devrait les amener à se montrer encore plus méfiants vis-à-vis de Bruxelles.
La campagne présidentielle française qui vient de s’achever, puis les législatives allemandes en septembre, promettent de survitaminer à leur tour le rejet de l’Europe supranationale, de son économie libérale et de ses frontières ouvertes. Il y a fort à parier que sous l’influence des populistes, les gouvernements n’auront à l’avenir d’autre choix que d’imprimer peu ou prou un nouveau cap à la construction européenne.
(1) Volkspartij voor Vrijheid en Democratie.
(2) Homme blanc fâché.
(3) Christen-Democratisch Appèl.
(4) Groenlinks.
(5) Ou « génération Y », qui regroupe les personnes nées entre 1980 et 1999.